Les assistantes scolaires peinent à joindre les deux bouts

RENTREE • Malgré une régularisation de leur statut en 2019, les assistantes scolaires vivent dans une grande précarité. A temps partiel, leur activité rend difficile de trouver un travail complémentaire, avec à la clé un revenu insuffisant à la fin du mois.

  • Les assistantes à l’intégration aident les enfants qui ont des besoins spécifiques. En médaillon Aristides Pedraza, syndicaliste. 123RF

    Les assistantes à l’intégration aident les enfants qui ont des besoins spécifiques. En médaillon Aristides Pedraza, syndicaliste. 123RF

«C’est un métier marqué par une très grande précarité» Aristides Pedraza, Syndicat Sud

Elles sont un peu plus de 800 et leur nombre ne cesse de croître. Elles, parce que ce métier est dans l’immense majorité des cas, féminin. 800 assistantes à l’intégration dont le rôle est à l’école et tout au long de la journée, d’accompagner les enfants qui ont des besoins particuliers: problèmes de scolarité ou de handicap, difficultés médicales ou psychiques et même, plus récemment, des enfants ukrainiens qui ne maîtrisaient pas un mot de français. Il suffit d’ailleurs de lire le détail de leur cahier des charges officiel, établi par l’Etat de Vaud, pour comprendre l’importance croissante de leur rôle, consacré d’ailleurs officiellement par la mise en place par la Direction Générale de l'Enseignement Obligatoire du Canton de Vaud, du Concept 360, qui vise à l’instauration d’une école inclusive.

Classe 5 de l’échelle salariale

Incontournables, elles le sont donc désormais, au point qu’actuellement, quasiment toutes les classes du canton en comptent au moins une… Au quotidien, elles sont désormais toujours sur la brèche, sautant même parfois dans la même journée d’une école à l’autre, souvent à l’autre bout du canton, pour accompagner ces enfants spécifiques, secondant même les enseignants quand il le faut. Sur le papier enfin, elles émargent à la classe 5 de l’échelle salariale de l’Etat de Vaud, suite à une régularisation consentie par le Canton à partir du 1er janvier 2019, un pas considérable qui les avait enfin dotées d’un statut. Avec à la clé, selon leur stade de carrière, un salaire annuel qui varie entre 56'000 et 81'000 francs.

Sur le papier seulement, car en réalité, leur salaire est bien plus bas. «La réalité, c’est que notre salaire mensuel oscille entre 2500 et 3000 francs, témoigne l’une d’entre elles. Avec cela il est impossible de vivre correctement, d’autant que j’assure 28 périodes de travail pour suivre trois enfants dans trois écoles différentes.»

«Temps contraint»

«Il s’agit de ce que l’on appelle un temps contraint, tempête Aristides Pedraza du Syndicat Sud. Car pour une journée de travail complète – au sens scolaire du terme –, mais officiellement à mi-temps, elles finissent avec au maximum 3000 francs bruts, et ce sans avoir de temps matériel pour travailler ailleurs. C’est un métier marqué par une très grande précarité, dont l’Etat de Vaud qui a construit de toutes pièces un statut flexible et pervers qui ne reconnaît pas que ces assistantes font un véritable travail scolaire, porte la responsabilité.»

Pour comprendre cette précarité, il faut avoir à l’esprit que les assistantes à l’intégration ne sont pas des enseignantes et ne sont donc pas reconnues comme du personnel scolaire. Concrètement, si 30 périodes de cours pour un enseignant, sont considérées et rémunérées par l’Etat de Vaud comme un temps plein, une assistante à l’intégration, qui passera la même durée de temps avec les enfants, devra se contenter d’une rémunération à temps partiel. D’où les salaires très bas à la fin du mois.

«Cette catégorie de personnel ne fait pas partie du corps enseignant, en ce sens qu’il ne dispense pas de l’enseignement et qu’à ce titre, leur temps de travail ne saurait prendre en compte les parts de temps de travail librement et non librement géré tel que c’est le cas chez les enseignantes et enseignants, justifie Giancarlo Valceschini, directeur général de l’enseignement obligatoire et de la pédagogie spécialisée (DGEO). Le fait d’intervenir auprès des élèves sur temps scolaire ne constitue en effet pas un statut d’enseignante ou enseignant. Il en va de même pour d’autres fonctions qui s’exercent au sein de l’école, comme les psychologues, logopédistes éducateurs, etc.»

Si nombre de ces assistantes à l’intégration parviennent à vivre à la faveur du salaire apporté par le conjoint, d’autres ne s’en sortent tout simplement pas. Une mère de famille monoparentale par exemple ne parviendra pas à honorer ses factures, d’autant que le recours à l’aide sociale est impossible. «Les services d’aide sociale m’ont refusé tout soutien, témoigne une assistante. Car ils considèrent que je ne travaille qu’à 50% donc ils m’ont demandé de chercher un autre travail.»

«Pistes» explorées

Comment cependant trouver un autre travail lorsque les journées se terminent le plus souvent à 16 heures, que les plannings de travail varient d’une semaine à l’autre voire même d’un jour à l’autre?

Car le métier d’assistante à l’intégration implique d’être très flexible aussi bien en horaires qu’en lieux de travail, et ce alors même que leur contrat de travail ne prévoit pas de taux d’emploi fixe, mais des fourchettes modulables allant au maximum à 70% pour la même employée, selon les besoins à très court terme de chaque institution scolaire.

Sans vouloir entrer dans les détails, la DGEO affirme «être actuellement en train d’explorer différentes pistes» pour améliorer les conditions de travail des assistantes scolaires.

Un statut officiel depuis 2019

Jusqu’au 1er janvier 2019, les personnes qui accompagnaient les élèves au sein des classes ne bénéficiaient pas de contrat et étaient rémunérées sur appel. La mise en place d’un statut officiel et donc de contrats de travail a ouvert la voie à l’instauration de contrats permettant notamment le versement d’un salaire régulier et l’édition d’un cahier des charges. En outre, la Direction générale de l’enseignement obligatoire et de la pédagogie spécialisée et la Haute école pédagogique (HEP) ont mis en place une formation spécifique d’une durée de 2 ans destinée exclusivement aux assistantes et assistants à l’intégration. 250 personnes l’ont suivie jusqu’à présent. Sur les 807 assistantes et assistants à l’intégration actuellement en fonction au sein des établissements de la scolarité obligatoire, 528 bénéficient d’un CDI, pour un total d’environ 180 postes à temps plein.

S’armer de patience, l'éditorial de Charaf Abdessemed

Alors oui c’est vrai: depuis 2019, la situation des assistantes à l’intégration - car il s’agit de femmes dans une écrasante majorité des cas -, s’est nettement améliorée. Le canton de Vaud a consenti un véritable effort en faveur de ces professionnelles qui, à l’école, viennent quotidiennement en aide à tous les enfants, et ils sont nombreux, qui ont des besoins spécifiques. Désormais, la profession a un statut, les assistantes sont au bénéfice d’un contrat de travail clair, avec un vrai cahier des charges, et même des possibilités de formation.

Sauf qu’il reste un problème de taille: en travaillant à temps partiel et souvent sur plusieurs sites du territoire cantonal, ces employées ne peuvent physiquement pas être disponibles pour chercher une autre activité professionnelle et donc in fine, améliorer leur revenu (lire notre article en page 3). En clair elles sont payées à temps partiel, pour ce qu’elles considèrent être en réalité un temps plein. Avec à la clé une précarité réelle, alors que véritables «pompiers» de l’instruction publique, elles sont indispensables au fonctionnement de l’école.

Cette situation n’est pas sans rappeler celle du «petit» personnel soignant dans les hôpitaux dont on encense perpétuellement l’abnégation et le dévouement, sans que la contrepartie financière ne soit réellement au rendez-vous. Car évidemment, rémunérer de manière plus généreuse ces «petites mains» dévouées a un coût, que le Canton ne peut ou ne veut assumer. Alors que les infirmières et infirmiers en sont encore à attendre l’application concrète de l’initiative sur les soins infirmiers, on se dit que les assistantes scolaires vont devoir s’armer de patience…