«Les courbes de prospérité ne montent jamais jusqu’au ciel»

  • La conseillère d’Etat socialiste Nuria Gorrite préside le Conseil d’Etat depuis le début de cet été.
  • Femme, fille d’immigrés, la magistrate assume la charge symbolique de sa nouvelle fonction.
  • Son ambition? Maintenir la prospérité du canton, tout en la répartissant au profit des plus démunis.

  •  Nommée à la veille des vacances scolaires, Nuria Gorrite entame sa présidence avec détermination. verissimo

    Nommée à la veille des vacances scolaires, Nuria Gorrite entame sa présidence avec détermination. verissimo

«Je me sens dépositaire de symboles importants»

«La prospérité du canton ne bénéficie pas à tout le monde»

Cela fait deux mois que vous présidez le conseil d’Etat vaudois. Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?

Je dois dire que j’appréhendais un peu les premières séances. Chacun a son style pour présider un collège, et il fallait que je trouve le mien. Pour moi, le premier objectif était de conserver la cohésion du gouvernement plébiscité par les Vaudois dans les urnes. Au final, je suis contente de la manière dont cela s’est passé, l’état d’esprit y est très positif et on travaille beaucoup sur le programme de législature et le budget.

Comment vous êtes-vous retrouvée à cette présidence ?

Je ne l’ai jamais revendiquée. Mais Pierre-Yves Maillard souhaitait ne plus endosser cette responsabilité à la tête du collège. La gauche étant majoritaire, j’ai pris le relais avec enthousiasme en étant désignée par mes collègues.

Quel est votre rôle?

La constitution est claire: d’une part le ou la présidente doit assumer des tâches de représentation et d’autre part elle doit veiller au bon fonctionnement de l’exécutif cantonal, ce qui implique que chaque membre du Conseil d’Etat puisse endosser son rôle et ses responsabilités pour faire avancer ses dossiers....

... une lourde responsabilité...

Sans aucun doute. Sur le plan légal, la présidente signe tous les courriers du gouvernement. Ceci sans compter le fait que sur le plan moral, on engage la responsabilité de l’Etat.

L’une de vos premières tâches de représentation a été d’accueillir le président Macron lors de son passage à Lausanne. Comment l’avez-vous trouvé?

Affable, agréable, très impliqué dans son rôle et comme tous les dirigeants de sa génération, très conscient de l’importance de la maîtrise de l’image et de la communication! Avec son épouse, cela a été moins formel, d’autant que nous nous sommes trouvé des points communs, notamment notre passion pour la littérature du Moyen Age.

En tant que femme et fille d’immigrés espagnols, êtes-vous consciente de l’importance symbolique de votre désignation au Conseil d’Etat?

Absolument, ces symboles sont importants notamment pour les femmes. Je me rends compte qu’il y avait une attente de la population vaudoise en ce sens. En outre, et en tant que représentante d’une immigration réussie, je participe, avec d’autres d’ailleurs, au fait que le Conseil d’Etat reflète les changements observés dans la composition démographique du canton depuis trente ans. Je suis donc consciente d’incarner quelque chose qui me dépasse, d’autant que je milite pour que les jeunes issus d’autres minorités trouvent et s’identifient à des modèles de réussite et d’intégration variés et différents.

En tant que Morgienne, ressentez-vous une charge symbolique du même ordre?

Bien sûr, on est de là où on a grandi. J’ai donc un attachement particulier pour cette région, et cette ville auxquelles je suis très reconnaissante de ce qu’elles m’ont apporté. Mon ADN est de là-bas, mes premières armes professionnelles et politiques ont été effectuées là-bas. C’est à Morges que les électeurs m’ont pour la première fois, exprimé leur confiance…

Autre femme, Isabelle Moret, qui portera vraisemblablement les couleurs du canton lors de l’élection au Conseil fédéral...

Je lui apporterai mon soutien, en tant que femme, en tant que présidente du gouvernement et en tant que Morgienne, puisqu’elle aussi vient de là-bas. J’ajoute que son profil politique me convient bien plus que celui de M. Cassis, qu’elle a toutes les compétences requises et qu’en plus, elle apporterait au Conseil fédéral une expérience qui lui manque, celle des 70% de mamans suisses qui travaillent et élèvent des enfants. Si elle est désignée par son parti, le canton se rassemblera autour de sa candidature, comme il l’a fait pour ses précédents candidats au Conseil fédéral.

Et les femmes encore, avec un collège gouvernemental qui compte aussi une nouvelle arrivée, celle de Cesla Amarelle. Comment s’est déroulée son intégration?

Très bien, Cesla Amarelle est une grande professionnelle de la politique avec de remarquables qualités d’analyse et de travail. En outre, elle fait de la politique depuis suffisamment longtemps pour comprendre que la collégialité est im- portante dans un Conseil d’Etat où le souvenir des années sombres est encore vivace. Je suis sûre qu’elle va donc s’inscrire dans la continuité pour garantir à la fois la bonne entente gouvernementale et la prospérité des Vaudois.

Pour les Vaudois, les années à venir s’annoncent plus difficiles…

Les courbes de prospérité ne montent jamais jusqu’au ciel. On observe que le climat économique est instable avec des délocalisations et des fermetures d’entreprises. Le défi est donc de consolider la prospérité du canton en favorisant, par des conditions cadre et des mesures incitatives, les capacités d’innovation de nos entreprises pour qu’elles puissent s’adapter aux changements.

Une initiative du PLR vise à faire baisser la pression fiscale sur les classes moyennes du canton…

Il faut que nous réfléchissions à la manière dont on peut répondre à cette aspiration. En parallèle, nous sommes bien conscients que la prospérité du canton ne bénéficie pas à tout le monde, et ce, alors même que nous créons des emplois. Il faut donc agir sur cette part de la population qui est au chômage ou en insertion, au risque de voir notre cohésion sociale mise à mal. Une partie de notre population a le sentiment d’être exclue, peine à payer ses primes d’assurance-maladie, ne va pas chez le médecin, a du mal à trouver un logement.

A-t-on oublié ces exclus?

Beaucoup de réformes ont été faites, sous-tendant des politiques publiques volontaristes. Mais aujourd’hui, on voit bien que ce n’est pas suffisant. Il faut donc en faire plus, à l’heure où toute une série de métiers est appelée à disparaître.

Le revenu de base inconditionnel n’est pas une forme de réponse à ce problème ?

Personnellement, je n’y crois pas. Car s’il venait à être instauré, il serait forcément très bas, faute de financement, ce qui impliquera pour beaucoup une baisse de revenu en provenance de nos assurances sociales. Sur le plan économique, je ne crois pas à une disparition du travail, une valeur à laquelle je suis philosophiquement très attachée, de par ma famille et mes origines. Je n’oublie pas d’où je viens, et le travail donne de la dignité, du sens.

Vous êtes responsable des infrastructures. Les travaux pour l’enfouissement du LEB à l’avenue d’Echallens viennent de commencer.

Si j’ose dire, on voit le bout du tunnel, et ce, grâce à une convention avec un riverain qui a retiré son opposition. Les travaux commencent, et désormais, on s’attache à réduire les perturbations liées au chantier.

Présidente du Conseil d’Etat, une magnifique carrière politique, finalement vous êtes une privilégiée…

Bien sûr, c’est d’abord un privilège d’avoir la confiance de la population et de faire un métier qui est une passion pour moi. Et puis, quand je vois la vie difficile que certains peuvent avoir, oui, bien sûr, je me sens vraiment privilégiée. Je viens d’un milieu ouvrier et je ne l’oublie pas. Cela reste une vraie motivation pour agir en faveur des autres.