Les night-clubs lausannois sombrent dans la nuit

La fermeture des night-clubs du canton jusqu’à fin octobre du fait du Covid-19 enfonce la branche dans de grosses difficultés financières.
Si la situation perdurait jusqu’en fin d’année, sans compensation d’urgence à fond perdu, certains d’entre eux pourraient mettre la clé sous la porte.
En Suisse alémanique, le secteur se défend bien plus efficacement car il y est mieux reconnu et considéré.

  • Pour les patrons de discos ou autres boîtes de nuit, la pandémie tourne au cauchemar. 123 RF

    Pour les patrons de discos ou autres boîtes de nuit, la pandémie tourne au cauchemar. 123 RF

«Malgré les demandes, nous n’avons encore obtenu aucune aide.»

Igor Blaska, un des deux patrons du MAD

«Night-clubs et discothèques sont les oubliés de la crise du Covid-19! A ce jour, et malgré des demandes lancées depuis mi-mars, nous n’avons encore obtenu aucune aide», peste Igor Blaska. Le patron du MAD, navire amiral des nuits lausannoises, a vu son chiffre d’affaire divisé par quatre depuis le début de la pandémie. Un tiers de ses employés sont en RHT et malgré cela le club perd chaque mois plus de 100’000 francs en charges fixes. «On nous empêche de travailler tout en nous enjoignant à ne pas licencier ce que nous sommes heureusement parvenus à faire jusque-là», rappelle le Lausannois.

Ce cauchemar en forme de quadrature du cercle ne semble pas près de s’arrêter! Mi-septembre, à l’instar de son homologue genevois deux mois plus tôt, le Conseil d’Etat vaudois ordonnait en effet la fermeture jusqu’au 30 octobre des 46 établissements du canton titulaires d’une licence de discothèque. Et ce car ces lieux, tournant pourtant déjà en sous-régime du fait des prescriptions de sécurité, restent considérés comme des «foyers épidémiques importants» dans un canton qui est le plus touché du pays par le virus.

Risque de fermetures

«Si la fermeture forcée venait à se prolonger jusqu’en novembre et décembre, traditionnellement deux mois parmi les plus rentables, plusieurs d’entre nous n’y résisteraient pas», prévient Thierry Wegmuller, patron du D! Club. Le courrier que «La Belle Nuit», comité qu’il préside et fédérant les gérants des disco vaudoises, a posté aux autorités fin septembre a finalement débouché vendredi sur… la mise sur pied d’une délégation chargée de traiter leur demande.

Dans sa missive, «La Belle Nuit» demandait une compensation sans contrepartie pour les pertes engrangées lors de la crise. Un peu comme le plan de sauvetage avalisé à Genève la semaine passée donc et prévoyant un maximum de deux millions par mois pour les 45 clubs concernés. Lesquels doivent en contrepartie s’engager à ne pas licencier. «Un montant juste serait celui qui compenserait les pertes par rapport aux rentrées 2019 tout en incluant les charges fixes totales», estime Thierry Wegmuller. Quant à d’hypothétiques nouvelles aides sous forme de prêts, si elles permettent de respirer, les intéressés estiment qu’elles ne font que repousser le problème.

La seconde option proposée par «La Belle Nuit» dans son courrier est de rouvrir en changeant temporairement de licence pour se lancer dans une activité de café-bar afin de limiter les dégâts. Ou même de restaurant, ce qui n’est pas une hypothèse privilégiée, car elle porterait préjudice aux restaurateurs déjà à la peine. Ces «reconversions temporaires» sont très peu prisées par les concernés. Ils y perdraient toute aide financière potentielle en y gagnant peu. De plus, très peu de lieux sont véritablement adaptés à ce genre d’activité pour lesquelles il faut de véritable ouverture lumineuse sur l’extérieur. La troisième option proposée par «La Belle Nuit» consisterait à ouvrir les clubs à des activités culturelles à but non lucratif, tout touchant la même aide financière qu’un club fermé. Laurent Grabet

Lausanne et la Romandie "en retard"

La commission suisse des bars et clubs (SBCK), faitière de la branche, juge que Vaud et Lausanne sont en queue de peloton pour ce qui est de la gestion de la crise du Covid-19 les concernant. «Un même club qui a droit à une compensation à Zurich, Berne, Bâle ou Lucerne ne l’aurait pas forcément s’il était implanté à Lausanne» dénonce Alex Buecheli. Selon le secrétaire général de la SBCK, il reste beaucoup de chemin à la Romandie pour reconnaître que le clubbing fait partie intégrante de la culture, comme cela est le cas dans certains cantons alémaniques depuis longtemps déjà, et donc lui donner droit à des compensations. L’organisation fait bénéficier ses homologues lausannois de son expertise.

Le parent pauvre de la culture, l'éditorial de Phiiippe Kottelat

C’était à la mi-septembre dernier. Face à la progression exponentielle des cas de coronavirus à travers le canton, le Conseil d’Etat vaudois prenait de nouvelles mesures sécuritaires. Il rendait le port du masque obligatoire dans tous les lieux publics fermés et refermait les boîtes de nuit jusqu’à la fin du mois d’octobre. Un nouveau coup de massue pour les patrons de clubs déjà lourdement affectés par les mesures prises à leur encontre lors du confinement du printemps dernier.

Avec, aujourd’hui, la question de leur survie comme le montrent les chiffres qui ressortent de notre enquête à Lausanne (lire article ci-contre). Le MAD par exemple, club connu bien au-delà des frontières helvétiques et même classé parmi les meilleurs de la planète, perd chaque mois plus de 100’000 francs en charges fixes. Comme le résume Igor Blaska, l’un des ses patrons: «On nous empêche de travailler tout en nous enjoignant à ne pas licencier».

Mais jusqu’à quand? Pour éviter de tirer définitivement la prise, les clubs suggèrent plusieurs choses, dont la possibilité de poursuivre leurs activités culturelles. Ce qui leur a été accordé par le Département de l’économie. Une mesure utile mais insuffisante rapportée au plan de sauvetage avalisé à Genève la semaine passée et qui prévoit un maximum de deux millions par mois pour les 45 clubs concernés et qui devrait permettre d’attendre des jours meilleurs à condition que l’épidémie ne dure pas trop longtemps.

Venir en aide au monde de la nuit est certes une gageure. Mais dans notre canton, l’épidémie de Covid montre à quel point le clubbing est le parent pauvre de la culture locale à l’inverse de la Suisse alémanique qui l’a depuis longtemps consacré.