«Des familles avec deux revenus ne boucleront pas leur fin de mois»
Lausanne Cités: Après deux années, l’impact social de la pandémie de Covid s’est-il résorbé?
Bastienne Joerchel: Je ne pense pas. Le Covid a fragilisé deux catégories de population très précaires, les personnes sans statut légal, alors même qu’elles travaillaient et ne coûtaient rien à la société, ainsi que les personnes qui étaient juste au-dessus des minimas et seuils pour recevoir de l’aide, comme certaines familles. Donc si on y ajoute en plus la crise qui arrive, on est loin du compte…
Justement, l’inflation qui s’installe, les prix de l’énergie qui explosent… Observez-vous une augmentation de la précarité dans le canton?
Nous n’avons pas encore de chiffres, et nous avons du mal à mesurer l’ampleur du phénomène car nos structures sont déjà saturées. Ainsi nous avons reçu cet été, ce qui est très rare en période de vacances, beaucoup plus d’appels téléphoniques de personnes très inquiètes. Et actuellement, les gens doivent attendre 20 minutes pour que nous puissions leur répondre au téléphone, trois semaines pour obtenir un rendez-vous chez nous. Cela donne une idée de la pression actuelle…
Comment risque de s’exprimer cette pression?
Ce que l’on anticipe, ce sont des difficultés chez des populations qui travaillent, qui ont donc un revenu souvent même deux, et qui n’arriveront plus à boucler leur fin de mois. Celles-ci n’ont pas accès aux aides, et entrent souvent dans une spirale pour tenter de s’en sortir: d’abord en puisant dans leurs économies, puis en faisant appel à la solidarité familiale et puis enfin en ayant recours à l’endettement. Ce n’est d’ailleurs que lorsqu’elles se retrouvent avec des factures impayées qu’elles viennent chez nous, et c’est souvent trop tard.
La crise risque donc de s’exprimer d’abord par un endettement croissant des plus précaires?
Probablement oui. En 2021, le CSP Vaud a suivi 654 situations de ménages endettés, à hauteur d’un total de 21 millions de francs, soit une moyenne de 75'000 francs par cas! Avec l’inflation cela risque d’empirer. Beaucoup de populations comme les jeunes ou les nouveaux parents, ou ceux dont l’enfant devient majeur, et qui étaient dans un équilibre précaire, risquent de basculer. Saviez-vous que 20% de la population vaudoise n’est pas capable d’honorer une facture imprévue de 2000 francs?
Sommes-nous prêts à faire face à cette crise?
Le Canton en tout cas, exprime une volonté d’affronter le problème et met des ressources à disposition. Le plafonnement des assurances maladie à 10% du revenu est un bon exemple d’aide efficace. De surcroit, les autorités ont réfléchi à ce qui s’est passé pendant le Covid et ont lancé un appel à projets pour mobiliser les acteurs du secteur social autour de solutions qui permettraient de pallier aux lacunes des dispositifs d’aide actuels.
Quelles sont ces lacunes?
Outre les effets de seuil déjà évoqués, il y a le fait que le système est trop complexe et devrait être plus simple à appréhender et plus facile d’accès. Entre les prestations complémentaires, le chômage, l’aide sociale, etc., il y a trop de régimes différents avec des seuils et des modalités d’accès différents. Nous-mêmes au CSP, souffrons de cette complexité, alors imaginez les potentiels bénéficiaires…
Cette complexité n’est-elle pas indispensable pour éviter les abus?
La société souhaite que l’aide soit donnée à la bonne personne au bon moment et pour de bonnes raisons, et du coup le système est très contrôlant. Sauf qu’aujourd’hui, il y a bien plus de personnes qui renoncent à l’aide à laquelle elles ont droit, que de profiteurs…
A court terme, que manque-t-il selon vous?
Un dispositif qui permette de donner rapidement une aide ciblée, concrète et automatique au bon moment à ceux qui en ont besoin! Ce serait un bon moyen de briser la spirale de la précarité. Durant la période de Covid, c’est la charité privée qui a joué ce rôle. Ce devrait être le rôle des pouvoirs publics.
Que doivent faire les personnes qui rencontrent des difficultés?
Réagir vite, ne pas attendre et demander dès que possible de l’aide auprès de leur commune ou d’autres instances. Avec Caritas et le service social de la Ville de Lausanne, le CSP Vaud répond à la ligne d’aide mise en place par le Canton appelée «Parlons cash» (ndlr: 0840 43 21 00) et qui donne des conseils professionnels à toute personne qui éprouve des difficultés avec des factures impayées.