Limite des mandats: une arme anti-dinosaures…

Après des années de refus, le PLR lausannois vient d’adopter la fin du cumul des mandats et la limitation des législatures, rejoignant en cela le PS et les Verts.

Si l’objectif affiché est de «revitaliser la vie démocratique», la démarche s’apparente beaucoup à une volonté de mettre fin au règne des inamovibles dinosaures de la politique.

Reste une question: les dérogations prévues et parfois abondamment utilisées ne vident-elles pas cette démarche de son sens?

  • Le PLR Lausanne va limiter le nombre de législatures de ses élus. Une manière d’inciter le parti vaudois à montrer la sortie à ses conseillers d’Etat? VERISSIMO

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«Nous devons attirer les nouvelles générations et leur offrir des perspectives par des règles claires qui permettent un tournus»

Philippe Miauton, président du PLR lausannois

Le dispositif est peu à peu en train de devenir très clairement la norme de la vie politique lausannoise et vaudoise. Le dernier converti est – et il a tenu à le faire savoir à corps et à cri – le PLR lausannois, qui y avait pourtant été longtemps réticent. Sa grande nouveauté: introduire – enfin – la fin du cumul des mandats et la limitation du nombre de législatures.

«On est très fiers qu’ils reprennent notre idée, lance goguenard, Xavier Company, co-président des Verts lausannois. C’est très bien que ces mesures s’étendent au-delà de la gauche car cela ne peut que favoriser la relève et le changement de mentalités».

«Cette décision est clairement une lex Broulis orientée vers les membres d’exécutifs PLR qui jouent un peu les prolongations, commente avec ironie Denis Corboz, le patron du PS lausannois. Ils commencent par la section lausannoise, pour ensuite le faire remonter au niveau cantonal.»

«C’est vrai, c’est une petite révolution pour le PLR lausannois, admet son président Philippe Miauton. Mais en fait ce n’en est pas une, car aujourd’hui les nouveaux élus ne sont pas dans une perspective de rester 20 ans comme dans le passé et souvent ne restent même plus ad vitam eternam dans un parti. Nous devons attirer les nouvelles générations et leur offrir des perspectives par des règles claires qui permettent un tournus». Si l’on analyse donc en creux les propos du patron du PLR, la limitation du nombre de législatures et du cumul des mandats ne serait donc même plus nécessaire, l’évolution des mœurs politiques la rendant de facto caduque.

Indiquer la porte de sortie

Alors pourquoi dans ce cas les partis y tiennent-ils donc autant? La réponse s’appelle Brélaz-Maillard-Lyon-Broulis-Leuba et bien d’autres encore. En clair, il s’agit surtout d’indiquer la porte de sortie à des élus solidement amarrés à leur siège et qui n’entendent pas le lâcher. On se souvient encore des soupirs lancés par nombre de (jeunes) élus verts qui ne savaient plus quoi faire de l’omniprésent et inamovible Daniel Brélaz. Ou même des yeux levés au ciel par certains PLR lorsqu’ils ont ouï dire que Broulis, pourquoi pas, se verrait bien repartir pour un tour malgré une dernière législature pour le moins chahutée.

Rester à tout prix? Au nom de l’intérêt supérieur du canton, de leur commune ou de leur parti et… même parfois de sa propre carrière? Après tout pourquoi pas, puisque malgré les dispositions anticumuls désormais inscrites dans les statuts des différents partis, reste une arme suprême: la dérogation à laquelle on a eu bien souvent recours ces dernières années.

«Je n’ai pas l’impression que ce genre de mesures soient adoptées pour favoriser la vitalité démocratique, mais plutôt pour des raisons de tactiques internes des partis politiques, constate le conseiller communal libéral-conservateur Valentin Christe. Et le recours aux dérogations s’il est appliqué trop largement ou sans règles précises, vide le système de sa substance. J’observe par exemple que pour les socialistes certains candidats ont plus de valeur que d’autres: on a clairement montré la sortie à Mme Lyon alors qu’on accueillait à bras ouverts la candidature de Pierre-Yves Maillard (NDLR, pour les élections au Conseil d’Etat)».

L’exception doit être la règle

L’autre parti qui en fait un large usage, c’est bien les Verts lausannois. «Au début de l’instauration de cette mesure, c’est vrai nous avons privilégié le recours aux dérogations pour éviter que ce ne soit vécu comme une loi ad personam orientée contre les personnes, convient Xavier Company. Aujourd’hui, dès qu’on est élu on sait à quoi s’en tenir car tout est clair dans les statuts du parti. Il y aura donc bien moins de demandes et celles-ci devront être motivées. Je ne pense donc pas que la dérogation soit un moyen de contourner le cumul».

«Chez nous, jure Philippe Miauton, la demande de dérogation sera traitée par l’assemblée du parti et ce par un vote séparé et uniquement consacré à la question: la personne qui la demandera devra donc argumenter et se justifier. Rien n’est acquis pour ceux qui souhaitent continuer à siéger.»

«Les dérogations ne sont pertinentes que pour quelques mois ou semaines et pour des situations particulières, renchérit le socialiste Denis Corboz. Si elles sont constantes et régulières, elles perdent en effet leur côté exceptionnel. Elles doivent en outre être toujours traitées au cas par cas».

«Eviter les suspicions de manipulation à des fins personnelles»

Les dérogations ne vident-elles pas de leur sens les limitations de mandats et l’interdiction des cumuls?

René Knüsel, politologue: Prévoir des dérogations possibles peut donner l’impression floue d’entacher un principe, sauf si le cadre de l’exception est bien fixé et que l’écart à la règle ne soit pas immédiatement appliqué. Il faut donc toutefois qu’elles soient exceptionnelles et conformes à l’esprit général du règlement pour ne pas vider les règles de leur sens.

Pourquoi les partis s’accordent-ils de plus en plus sur la nécessité de fixer les limites de mandats dans leurs statuts?

La vie des partis et leur fonctionnement font l’objet d’une attention soutenue depuis deux décennies. Leurs dirigeants prennent soin de mieux préciser les règles internes qui cadrent leurs activités. Il leur apparaît nécessaire de réglementer sans trop rigidifier. Préciser les règles internes permet donc à chaque membre de connaître et de se conformer au cadre fixé… Il devient ainsi plus difficile de faire admettre une exception au moment où un changement intervient qui pourrait justifier un écart avec le règlement que de prévoir dès le départ de possibles exceptions. Sinon, l’impression domine que le règlement est adapté à une situation personnelle, créant de fait une inégalité de traitement potentielle et des suspicions de manipulation à des fins personnelles.

Une petite révolution est en marche, l'éditorial de Philippe Kottelat

Dans le monde politique, la question du cumul des mandats, comme leur limite dans le temps, est régulièrement débattue. En tous cas dans les pays démocratiques qui nous entourent. En France voisine, par exemple, la culture des cumuls qui voyait par le passé un ministre être également maire et président d’un Conseil régional, appartient au passé. Et Emmanuel Macron, qui en avait fait la promesse avant son élection à la tête de l’Etat français, s’est attaqué au sujet en annonçant que les mandats des élus seraient bien limités dans le temps... mais à partir de 2032 seulement, année tampon où tout élu ne pourra exercer plus de trois mandats identiques successifs. 2032! Les calendes grecques. Preuve que le sujet est dans l’air, mais qu’il est pour le moins délicat!

En Suisse, la durée des mandats politiques n’est pas limitée par la loi et le cumul demeure possible. Sauf dans le canton de Neuchâtel où, en juin dernier, le Grand Conseil décidait de l’interdire. Une décision nécessaire, jugeait-il, pour maximiser la diversité des élus et favoriser le renouvellement politique, même si les opposants y voyaient pour leur part une altération grave des droits démocratiques.

Quoiqu’il en soit, le débat est lancé. Et même bien lancé puisqu’après des années de refus, même le PLR - le PLR lausannois en l’occurrence - vient d’adopter la fin du cumul des mandats et la limitation des législatures pour ses élus (lire ci-contre). «Une petite révolution», a admis son président Philippe Miauton. Le PLR local va donc faire comme le PS et les Verts, mais en se laissant, comme eux, une marge d’appréciation au cas où, soit une possibilité de dérogation lors de situations particulières. Deviendra-elle la norme ou sera-t-elle exceptionnelle? C’est là tout l’enjeu du débat. Reste qu’une petite révolution est en marche, car elle donne aussi à ces partis la possibilité de se débarrasser de certains dinosaures devenus par trop encombrants.