«ll va falloir gérer de la sorte, tant qu’un vaccin ne sera pas disponible»

La deuxième vague de coronavirus continue de toucher de plein fouet l’Europe tout entière. Le canton de Vaud n’y échappe pas avec un nombre élevé d’infections.
Le 3 novembre, les autorités vaudoises prononçaient l’état de nécessité et fermaient les bars, restaurants et lieux de loisirs au moins jusqu’au 30 novembre.Quelque trois semaines après, où en est-on de la mise en place de ces mesures? Voit-on le bout du tunnel? Les réponses de la présidente du Conseil d’Etat Nuria Gorrite.

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«En réalité, nous nous adonnons à une véritable danse avec le virus »

« Chez nous, on ne peut pas dire que le contrôle de l’Etat sur la vie humaine atteigne des sommets démentiels»

Lausanne Cités: Nous voici au cœur de la deuxième vague. Ne l’aviez-vous pas vue venir?

Nuria Gorrite: On savait que ça allait arriver, comme on savait à peu près le moment où ça allait arriver. Nous nous étions donc préparés à y faire face et depuis le mois de mars, nous avions mis en place un dispositif que nous avons pu actionner dès que nécessaire… En revanche, personne n’a vu venir l’intensité de cette deuxième vague.

Pourquoi alors les hôpitaux s’approchent-ils de la saturation?

Parce qu’il n’est pas possible de maintenir indéfiniment des structures vides en attendant une éventuelle catastrophe. D’ailleurs pour cette deuxième vague, le problème n’est pas au niveau de l’équipement ou du nombre de lits, mais bel et bien au niveau de la disponibilité du personnel, d’autant que contrairement à la fois précédente, nous devons, en plus des patients Covid, assurer la prise en charge des autres besoins médicaux. Et puis enfin, le personnel lui-même est touché par le coronavirus.

Tout de même, on a un peu le sentiment qu’en juin dernier le déconfinement a été trop rapide, au point de faire oublier à beaucoup que l’épidémie n’était pas terminée…

Dans le marathon que nous courons, l’objectif n’est pas d’arrêter la vie ou l’économie, mais bel et bien le virus. Lorsque le nombre de contaminations diminue, il est normal et logique de laisser les choses reprendre leur cours, d’autant que les gens ont besoin de contacts sociaux. Cela dit, c’est vrai, qu’il a pu y avoir çà et là un relâchement individuel, et que celui qui n’a pas «coronapêché» jette la première pierre. Mais ce relâchement ne peut être imputé aux autorités, et il n’est pas responsable de la saturation des hôpitaux que l’on observe actuellement.

Vaud a choisi de maintenir écoles et magasins ouverts. Pourquoi?

La Confédération nous ayant laissé la latitude d’agir, nous avons pris nos responsabilités, en nous appuyant sur l’expertise d’un conseil scientifique que nous avons désigné. Les foyers de contaminations ont été clairement identifiés: la sphère privée, les milieux sportifs et festifs de la nuit, les EMS, mais clairement pas les magasins, ni les écoles.

Avez-vous agi de concert avec les autres cantons?

Nous nous sommes coordonnés avec Neuchâtel, le Jura, Fribourg et même le Valais qui nous a rejoints. Genève a souhaité aller plus loin, mais il faut dire que leur situation épidémiologique était pire que la nôtre.

Les restaurants ont été fermés et les restaurateurs ont un sentiment d’injustice car ils n’ont pas démérité dans les efforts de gestion de l’épidémie et du public…

Leur situation est difficile, je le comprends bien, et ce n’est pas de gaieté de cœur que nous avons pris cette décision. Mais il faut prendre en compte deux éléments: d’une part, en les fermant on limite les foyers de contagion et, d’autre part, on les accompagne économiquement: ils vont avoir droit aux APG pour les patrons et aux RHT pour les salariés, ainsi qu’à une participation financière pour les loyers et les charges fixes. Leur situation économique était déjà très fragilisée avant même la décision de fermeture.

Quel coût les mesures de soutien économique représentent-elles pour le canton?

Nous avons mis à ce jour près de 600 millions pour atténuer les effets de la crise. Dernièrement, le Conseil d’Etat a décrété un montant de 115 millions pour des mesures d’accompagnement aux secteurs les plus touchés (restauration, culture, tourisme, etc.). 115 millions, c’est comme si la Confédération concédait 1,2 milliards, alors qu’elle n’octroie que… 200 millions pour toute la Suisse. Nous ne comprenons donc pas cette frilosité fédérale, d’autant que lors de la première vague, Berne a réagi très vite. Dans une Europe qui vit cette deuxième vague, nous sommes le seul pays qui n’a pas formulé une réponse nationale. Le fédéralisme, c’est charmant, mais il a ses limites quand on se heurte à une pandémie mondiale. Vaud a encore les moyens de faire face, mais d’autres cantons sont bien plus démunis. Or la Confédération a les moyens de faire jouer la solidarité nationale et le devoir d’accompagner le secteur économique.

Qu’en est-il de la situation sanitaire? Voit-on le bout du tunnel? Le semi-confinement sera-t-il prolongé ou levé?

C’est trop tôt pour le dire. On serre et on desserre le dispositif en fonction de l’évolution de la situation sanitaire. En réalité, nous nous adonnons à une véritable danse avec le virus, car je rappelle qu’il ne circule pas tout seul et ne disparaît pas tout seul. Et il va falloir gérer de la sorte, tant qu’un médicament ou un vaccin ne seront pas disponibles.

Tout de même, n’y a-t-il pas une petite lueur d’espoir?

Il semble que l’on commence à se diriger vers un plateau dans le nombre des nouvelles infections, mais cela reste à confirmer et rien n’est gagné, de loin pas.

Tout cela est très anxiogène pour la population…

J’en suis tout à fait consciente. C’est difficile pour tout le monde de ne pas savoir. Depuis le mois de mars, nous avançons à livre ouvert, nous apprenons tous les jours et devons tous les jours prendre des décisions. Mais tout se joue au niveau de la population, de sa maturité et de son aptitude à faire preuve d’une responsabilité individuelle et collective. C’est à ce prix que nous sortirons de cette crise.

Certains crient aux atteintes à la liberté individuelle avec le port du masque obligatoire…

Ceux-là doivent prendre conscience que les comportements individuels à risques ont des conséquences sur la collectivité. J’ajoute que par rapport à nos pays voisins, nos mesures sont plutôt peu restrictives, et c’est tant mieux. Chez nous, on ne peut pas dire que le contrôle de l’Etat sur la vie humaine atteigne des sommets démentiels. L’idée est de faire des efforts maintenant pour gagner plus de liberté ensuite…

On a quand même le sentiment que les Vaudois ont plutôt bien joué le jeu…

Oui tout à fait. Les Vaudoises et les Vaudois ont compris que nos décisions sont réfléchies, proportionnées et coordonnées. Nous avons confiance en notre population dont on sait qu’elle a l’esprit de responsabilité adéquat.

Quelles leçons tirez-vous de cette crise sans précédent?

D’abord que la Suisse n’échappe pas aux défis du temps présent. Ensuite qu’une fois de plus en cas de crise, l’Etat est le dernier rempart quand il ne reste rien. En mars dernier, tout le monde s’est tourné vers nous, y compris celles et ceux qui ont longtemps décrié l’Etat. J’observe en outre que nous avons bien fait de ne pas céder aux appels de yoyo fiscal, ce qui nous permet aujourd’hui d’avoir de quoi faire face et de venir en aide à ceux qui souffrent le plus de la crise. La dernière leçon c’est quand même de voir à quel point avoir des institutions solides et représentatives comme les nôtres est important pour affronter ce genre de situation. Enfin, la pandémie a montré à quel point ce que l’on appelle parfois légèrement «les petites mains» restent fondamentales pour notre société.

Un peu d’humilité et de discipline, l'éditorial de Philippe Kottelat

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. A la fin du week-end dernier, la Suisse enregistrait 12779 nouveaux cas confirmés de Covid en 24 heures, 2004 pour le seul canton de Vaud. Et, avec 581 morts en une semaine, la tendance hebdomadaire des décès marquait pour sa part une hausse très nette par rapport à la semaine précédente. Parallèlement, 77% des 1140 lits en soins intensifs que compte la Suisse étaient occupés. C’est donc une évidence: nous sommes au cœur d’une deuxième vague pandémique bien plus sévère que celle qui a nous a touchés au printemps dernier. Non seulement les cas ne cessent d’augmenter et les hôpitaux sont en passe d’être saturés, mais le corps médical appelle au secours et les morgues sont pleines, et pas que de personnes âgées. Bien triste réalité. N’en déplaise aux sceptiques, grincheux ou autres complotistes dont les thèses, elles, ne reposent sur aucun fait!

Face à cette inquiétante évolution sanitaire, des mesures devaient être prises. Le Canton de Vaud l’a fait début novembre. «Elles ont été réfléchies, proportionnées et coordonnées», nous a dit la présidente du Conseil d’Etat (lire l’article ci-dessus). On peut la croire sur parole, même si certaines ne brillent pas forcément par leur cohérence. Pourquoi, par exemple, avoir choisi de laisser les bordels ouverts, mais de fermer les restaurants qui, à quelques rares exceptions, se sont systématiquement conformés à toutes les règles sécuritaires décidées depuis le début de la pandémie et dans lesquels aucun cluster n’a été détecté? Sans évoquer cet illogisme fédéral qui fait que les cantons ne sont pas tous logés à la même enseigne. Oui, il y a des incohérences, voire des absurdités. Il convient de les relever, tout en sachant, aujourd’hui, que seules un peu d’humilité, de discipline et une prise de conscience citoyenne nous permettront de voir le bout du tunnel et de limiter tant soit peu les dégâts.