Municipalité: Payot fera-t-il les frais de l’offensive verte?

En lançant un 3e candidat à la Municipalité, les Verts brisent le statu quo dans la gauche lausannoise.
Un pari risqué qui illustre un appétit grandissant à l’heure de la vague verte qui secoue tout le pays.
En cas de victoire, c’est en tout cas clairement le candidat popiste qui sera sur la sellette.

  • Le municipal David Payot joue-t-il son siège aux prochaines élections? CA

    Le municipal David Payot joue-t-il son siège aux prochaines élections? CA

«Ce n’est pas mon existence propre qui est en jeu, mais la place de l’extrême gauche»

David Payot

Ils ont osé le faire et déterré la hache de guerre sans coup férir. Portés par leurs succès électoraux, et l’appétit qui vient toujours en mangeant, les Verts ont décidé de lancer trois candidats pour les élections du printemps prochain à la Municipalité. Comme souvent, il s’agit donc de répondre à l’appel des masses: «La décision a été prise à l’issue d’un long débat interne justifie Xavier Company, co-président des Verts lausannois et lui-même candidat. L’objectif étant d’offrir une réponse aux attentes de la population, nous avons assumé nos responsabilités en présentant 3 candidats à la Municipalité».

Seulement voilà, en politique comme ailleurs, l’arithmétique est sévère, car du fait de cette 3e candidature, l’alliance rose-rouge-verte se trouve bien empruntée, avec 7 candidats pour 6 sièges si l’on tient compte du fait que l’unique siège PLR restant est intouchable: «Partir à 7, 3 socialistes, 3 Verts et 1 popiste, était pour moi impossible car anti-démocratique, soutient Denis Corboz, le président des socialistes lausannois. La droite existe à Lausanne avec 21 élus PLR, 5 PLC, 7 UDC et 6 du Centre, elle a donc droit au minimum à un siège à l’exécutif».

2 grands groupes

En clair ce sera donc forcément un candidat de la gauche qui en bout de course se trouvera sacrifié. «La coalition à gauche sera divisée en 2 grands groupes au premier tour: les Verts d’un côté, les socialistes et le POP de l’autre (qui vont faire alliance, ndlr), explique le politologue lausannois René Knüsel. Le ballottage généralisé qui devrait en ressortir s’apparenterait à une primaire.»

Dans cette perspective tous les regards se tournent évidemment vers le popiste David Payot, porté en 2016 par un très consensuel ticket de gauche au dernières élections municipales et le moins bien élu des 6 candidats de gauche. Car si les Verts gagnent leur pari et placent correctement leurs candidats à l’issue du 1er tour, il y a fort à parier que le popiste sera sacrifié.

«La condition cardinale pour que le pari des Verts soit réussi sera de placer les 3 candidats devant au moins 1 des candidats de l’alliance socialiste-popistes, sinon ce sera très difficile, analyse l’ancien syndic Vert Daniel Brélaz. Ce n’est pas la probabilité principale, mais si une bonne dynamique électorale se met en place dans la foulée des adhésions qu’ils enregistrent, il y a une probabilité minoritaire mais pas nulle pour que leur pari marche.»

Les popistes qui ont donc tenté de contrer l’offensive verte par une alliance avec les socialistes, sentent passer le vent du boulet. «C’est une attaque assez frontale, observe Anaïs Timofte, patronne du POP. Nous prenons acte de la volonté des Verts d’avancer au détriment de la gauche plutôt que de faire avancer l’ensemble de la gauche et prendre un siège à la droite. Contrairement aux Verts et au PS, nous trouverions très positif pour nos projets d’avoir une Municipalité entièrement à gauche».

La parole reviendra donc au peuple lausannois. Ce dernier récompensera-t-il l’audace des Verts en consacrant aux côtés de la sortante Natacha Litzistorf, 2 nouveaux candidats qui souffrent d’un relatif déficit de notoriété, ou bien sauvera-t-il le soldat Payot, en reconnaissance de son bilan et des services rendus à la communauté. Le tout en tenant compte du fait que la candidature Payot pourrait tout à fait être torpillée par ses pairs d’extrême-gauche, dans la mesure où Ensemble à gauche s’est décidée, comme elle l’a fait il y a 5 ans, à lancer ses candidats concurrents.

Bon bilan

«Je n’ai aucune crainte pour un municipal sortant qui a un bon bilan, veut en tout cas croire Anaïs Timofte. Ce que je vois, c’est un municipal sortant droit dans ses bottes qui a mené des projets importants, en particulier dans les quartiers, et permis d’ouvrir de nouvelles perspectives pour la politique lausannoise».

«David Payot est connu à l’extrême gauche qui à Lausanne fait 8 à 10% des voix. Il représente de manière légitime une partie de la population renchérit logiquement Denis Corboz. Je ne pense pas qu’il soit perçu par le grand public comme le maillon faible de la prochaine élection».

Au-delà de son avenir personnel, le principal intéressé préfère défendre la place de l’extrême-gauche au sein de l’exécutif lausannois.

«Ce n’est pas mon existence propre qui est en jeu, soutient ainsi David Payot. Je ne me sens pas en danger à titre personnel. Sur ce plan, je n’ai aucun souci à interrompre ou à continuer mon mandat. Ce qui compte, c’est une extrême-gauche présente à l’exécutif, dans le parlement et dans la rue. Il est important pour moi de continuer à défendre ces idées, de les représenter dans une Municipalité, et de faire le lien avec la population.»

Au final, conclut le politologue René Knüsel, les négociations préalables ou consécutives au vote pourraient laisser des traces dans la coalition selon le classement obtenus par les candidat.e.s des différentes listes. Dans la perspective d’un second tour, le popiste Payot pourrait être sacrifié sur l’autel de la raison par une partie des électeurs socialistes. Du côté des Verts, quelques précieuses voix de 2019 pourraient ne pas soutenir le pari lancé. Bref, l’amertume devrait agrémenter le condiment d’une coalition de gauche rabibochée à la hâte pour le second tour, d’autant plus si le résultat final devait être le statu quo».

Gardez-moi de mes amis! L'éditorial de Charaf Abdessemed

«Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge !» Nul doute que dans l’esprit de David Payot et de ses amis popistes cette citation de Voltaire doit résonner comme jamais, après l’annonce par les Verts d’un ticket à 3 pour aller à l’assaut de la Municipalité, au printemps prochain.

Dieu pourtant que tout allait bien jusque-là. Loin des antagonismes qui minaient le précédent exécutif, la Municipalité était en ordre de marche sous la houlette d’un Junod en parfait chef d’orchestre, avec un ultra-minoritaire PLR aussi constructif que régalien, le tout dans une dynamique incontestable que même le Covid n’aura pas réussi à enrayer.

Et voilà que ces satanés Verts, avec leur ambition juvénile, viennent bousculer une reconduction qui s’annonçait largement acquise, dont la seule finalité était d’acter le remplacement des sortants, Tosato et Pidoux, sans bousculer les équilibres politiques.

Résultat: le premier tour d’une élection censée être quasi tacite se transforme en véritable primaire, pour reprendre le mot du politologue René Knüsel (lire ci-contre), et qui pousse à la création d’une coalition socialo-popiste destinée à endiguer l’ambition de leurs entreprenants alliés Verts.

Si les électeurs donnent une prime aux sortants, la manœuvre aura fait long feu. S’ils décident de récompenser l’ambition, le municipal popiste pourrait y laisser sa peau et son siège, par la grâce de ses amis d’hier.

Et le pire est à venir. Car quel que soit le verdict final, l’élection laissera des traces, et tout ce beau monde de gauche devra mettre de côté ses inimitiés pour tenter à nouveau de gouverner ensemble et en bonne entente.

Quand elle n’a pas de problèmes, la gauche s’en invente.