Nouvelles pistes cyclables: le désarroi des petits commerçants

Les petits commerçants des zones périphériques sont les premières victimes de la mise en place des nouvelles pistes cyclables en ville de Lausanne.
Ils dénoncent une démarche faite sans concertation alors qu’ils peinent déjà à se remettre de la période de semi-confinement liée à la pandémie de coronavirus.
La Municipale Florence Germond évoque des mesures prises dans l’urgence. Elle souligne que toutes les remarques découlant de celles-ci seront analysées et discutées.

  • La suppression de nombreuses places de parc, remplacées par des pistes cyclables, prétérite grandement les petits commerçants. VERISSIMO

    La suppression de nombreuses places de parc, remplacées par des pistes cyclables, prétérite grandement les petits commerçants. VERISSIMO

«La crise sanitaire nous a sérieusement malmenés, la Ville est en train de nous achever.»

Fabio Chincarini, patron du Café le 421

La fronde a débuté à Ouchy, début juillet. Elle atteint aujourd’hui d’autres quartiers, comme celui de Sébeillon ou les Plaines-du-Loup. En cause, la suppression par la Ville de nombreuses places de parcs pour les remplacer par des pistes cyclables, soit 7,5 kilomètres supplémentaires cette année, selon le dispositif mis en place. Une opération menée tambour battant par le Service de la Mobilité qui est loin, hors des adeptes de la petite reine, de ne faire que des heureux.

Sébeillon et les Plaines-de-Loup

Les premiers touchés sont les petits commerçants. Pas ceux du centre-ville qui regorge de parkings souterrains où il est toujours possible de trouver une place pour garer sa voiture. Mais ceux des quartiers «périphériques» pour qui une place de parc qui disparaît signifie clairement des clients en moins. A Ouchy, quelque trente aires de stationnement ont ainsi été supprimées depuis le début du mois en faveur d’une piste cyclable tracée entre la Croix d’Ouchy et le bord du lac. Comme dans le quartier de Sebeillon-Malley, sans visiblement qu’on mesure au préalable l’impact d’une telle démarche sur le commerce local.

«La crise sanitaire nous a sérieusement malmenés, la Ville est en train de nous achever», résume ainsi Fabio Chincarini, le patron du café le 421, au 77 de la rue de Genève qui avance qu’il perdu en gros le 50% de sa clientèle le matin et aux heures de midi. «C’est totalement injuste après la période de confinement que nous venons de vivre!» Même son de cloche de la part de Silvia, la coiffeuse qui tient boutique juste à côté et qui évalue son manque à gagner entre 15 et 20% depuis la mise en place des piste réservées! «Je n’ai rien contre les cyclistes, mais avant de faire n’importe quoi, il faudrait peut-être prendre le temps d’un peu réfléchir et discuter», commente-t-elle.

Sur les Plaines-du-Loup, la situation est identique en ce qui concerne le bar à café Le Sportif, seul petit commerce occupant la partie médiane de cette longue rue qui permet de sortir de la ville par le nord. «Le Service de la Mobilité a supprimé 15 places de parc devant mon établissement. On n’en a même pas laissé une pour les livraisons», explique la patronne des lieux avec beaucoup de tristesse dans la voix. «Avant, on s’arrêtait pour prendre un café le matin ou manger un petit en-cas. Depuis l’instauration de cette piste cyclable, ma clientèle a fondu comme neige au soleil. Seuls quelques habitués continuent de venir par solidarité. En 35 ans de métier, et après avoir géré trois autres établissements, je n’ai jamais rien vu de pareil!» Elle craint aujourd’hui très clairement d’être tout simplement obligée de fermer boutique.

Une méthode critiquée

Au-delà de la mise en place rapide de ce dispositif, ce qui frappe les commerçants touchés, c’est la méthode utilisée par le Service de la Mobilité et sa reponsable, la Municipale Florence Germond. Ils dénoncent unanimement un manque de concertation. A Ouchy, le syndic des lieux, Christophe Andreae, un homme connu pour sa pondération, n’hésite pas cette fois à sortir de sa réserve: «A la Municipalité, on n’a que les mots concertation et démarche participative à la bouche, mais dans le cas présent, la décision a été prise sans concertation aucune, de manière unilatérale, de plus en plein début de la pause estivale quand les gens commencent à partir en vacances!» Et l’homme de nous livrer une petite anecdote: «Début juin, dans le cadre d’une réunion du Groupement des acteurs économiques de Lausanne, Florence Germond est venue nous parler de son plan pour les pistes cyclables sur les hauts de la Ville. Pas un mot sur Ouchy à cette occasion. Trois semaines plus tard, une trentaine de places de parc y étaient pourtant supprimées.»

«Pas étonnant, enchaîne un commerçant qui souhaite garder l’anonymat. «C’est la méthode habituellement utilisée par la Municipale. Elle a des idées fixes, passe en force et jure après que des concertations ont bel et bien eu lieu.» D’autres lui prêtent même des intentions purement politiques. «C’est un calcul», commente un autre commerçant. «Elle évoque l’urgence climatique, mais n’oubliez pas que nous ne sommes qu’à quelques mois des élections communales. Elle doit donner des gages à ses alliés Verts qui ne cessent de grignoter du terrain, alors elle sort la grosse artillerie pour se les mettre dans la poche!».

Urgence climatique

Contactée, Florence Germond explique que la mise en place de ces mesures s’est faite dans l’urgence de la crise liée au coronavirus (lire ci-dessous) et indique qu’elle analysera l’impact de celles-ci sur les différents acteurs et que toutes les remarques seront analysées et discutées.

«La crise du COVID nous a poussés à agir rapidement»

Lausanne Cités: Les commerçants que nous avons rencontrés disent avoir été placés devant le fait accompli et n’avoir reçu aucune information de vos Services...

Florence Germond, Municipale en charge de la mobilité: Les mesures concernant la création des terrasses et des bandes cyclables ont été présentées au groupe des acteurs économiques que nous consultons régulièrement sur différents sujets. Ces mesures ont également été présentées aux médias lors d’une conférence de presse tenue en juin passé.

La crise sanitaire est loin d’être terminée. Nombre d’entre-eux souffrent économiquement parlant, était-ce bien raisonnable d’aller aussi vite en besogne?

La crise du COVID nous a poussés à agir rapidement: création de nouvelles terrasses pour aider les restaurateurs, fermeture de la rue Centrale pour le marché ou enfin accessibilité des quais d’Ouchy pour la promenade. En parallèle, nous devons aussi répondre à un souci important en termes de mobilité, à savoir que la proportion des déplacements automobiles a largement augmenté depuis la crise suite à la diminution de l’usage des transports publics. Si nous n’offrons pas une alternative sérieuse aux personnes qui souhaitent se déplacer, par exemple à vélo, nous allons vers une congestion de la ville. Nous devons donc agir rapidement. Concernant les cas spécifiques que vous évoquez, c’est dommage car ces personnes, excepté pour Ouchy, ne nous ont pas contactés pour exposer leur problème. Nous sommes ouverts à la recherche de solutions, si c’est possible. Par exemple aux Plaines-du-Loup, le taux d’occupation des places de parc est de 50%. Nous avons donc une marge de manœuvre pour réorganiser l’espace.

On critique aussi votre méthode, jugée «brutale», pour certains...

D’habitude en effet, nous travaillons avec une longue phase de concertation qui dure souvent plusieurs mois, voire années. La situation n’est ici pas comparable. Nous sommes dans l’urgence de répondre à des changements soudains de comportements de mobilité et nous devons répondre très rapidement. Le Conseil communal a même trouvé que la Municipalité avait tardé à agir…et tous les jours, nous avions des demandes des restaurateurs qui s’inquiétaient de savoir quand la création de leur terrasse pourrait se faire…ils n’ont pas trouvé que nous sommes allés trop vite, je peux vous l’assurer.

Et que dites-vous à celles et ceux qui affirment que ces décisions ont été prises pour des raisons purement politiques.

Cela me fait sourire… Cela fait 20 ans que je défends la cause des cyclistes à Lausanne… J’ai fondé avec d’autres, l’association PRO VELO au début des années 2000 que j’ai présidée pendant 10 ans… Comme plusieurs membres du PS et des Verts, je suis engagée personnellement depuis très longtemps sur la thématique d’une mobilité durable et je la mets en musique en particulier depuis 2016 lorsque la mobilité a passé dans mon dicastère.

Ces mesures ont été annoncées comme provisoires. Pouvez-vous donner la garantie qu’elles ne sont pas, déjà, définitives?

Ces mesures ont fait l’objet d’une procédure provisoire et devront suivre une procédure complète dans quelques mois.