Nuria Gorrite: «Avec Lyria, tout se fait dans un esprit qui ne nous ressemble pas!»

Le torchon brûle entre la direction de TGV Lyria, qui s’est exprimée dans nos colonnes le 23 mai dernier, et le Canton de Vaud.

A l’origine de la polémique, la volonté du transporteur français de modifier en profondeur son offre dès décembre 2019, sans concertation préalable.

Présidente du Conseil d’Etat vaudois, Nuria Gorrite, fustige cette attitude. Elle évoque un problème de confiance et de méthode.

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«Nous n’avons en réalité aucune garantie du maintien de la desserte depuis Lausanne à long terme.»

Lausanne Cités: On vous sent très remontée contre Lyria et les changements d’horaire annoncés pour le mois de décembre prochain…

Nuria Gorrite: Il y a de quoi, car en face de nous, nous n’avons pas d’argumentation cohérente. Au départ, Lyria a justifié l’introduction de son nouvel horaire en raison des travaux en gare de Lausanne. Elle a admis nos arguments lorsqu’on lui a démontré que ces travaux n’auraient aucune incidence, d’autant qu’ils avaient été planifiés pour tenir compte de la desserte du TGV. Ensuite, on nous a dit que ce changement de stratégie découlait du fait que Lyria avait fait le choix industriel d’avoir une flotte réduite de TGV uniquement à deux étages, ce qui les oblige à une réduction de nombre de liaisons entre la France et la Suisse.

Mais n’est-ce pas positif tout de même? Grâce à cela, Lyria propose une offre de sièges supplémentaires de 30% au départ de Lausanne...

Sauf qu’en matière de transport ferroviaire, c’est la cadence qui définit l’attractivité d’une ligne et pas uniquement le nombre de sièges. En outre, cette offre en sièges supplémentaires s’explique uniquement par le passage de 21 TGV classiques à 1 étage à un nouveau parc de 15 rames à deux étages. En raison de cette stratégie inadaptée, Lyria n’a plus de rames en nombre suffisant pour assurer l’horaire actuel. D’ailleurs, sa direction a affirmé en avril dernier qu’avec une rame de plus, ils auraient conservé la 4ème liaison via Vallorbe.

C’est un argument qui peut être entendu…

Lors d’une séance du comité de suivi de Lyria, la présidente de la Région Franche-Comté, Marie-Guite Dufey, a annoncé que son homologue des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, par solidarité, acceptait de mettre à disposition de Lyria une des rames que sa région devait recevoir à la fin de l’année. Le directeur de Lyria a alors avancé qu’en réalité d’autres motifs impliquaient la décision de sa compagnie. Difficile donc de dialoguer avec des interlocuteurs qui changent d’arguments, ou en inventent d’autres, en permanence. Cela dit, pour le Nord vaudois, il y a un risque de désaffection de Vallorbe à terme. C’est un enjeu de couverture universelle du territoire, et je m’exprime aussi au nom de l’ensemble de mes collègues de Suisse occidentale pour lesquels le nouvel horaire de Lyria est très péjorant. Tout le monde est mécontent, car le trajet par Vallorbe sera toujours plus rapide que le détour par Genève pour une grande partie de la Suisse romande.

Donc il y a bel et bien un problème de confiance entre vous?

Au-delà des atermoiements, il y a un problème de confiance et de méthode. Les choses ont été faites à l’envers puisqu’on a décidé d’abord, puis tenté de discuter ensuite. C’est très éloigné de la recherche pragmatique de consensus que l’on connaît chez nous en Suisse. Avec Lyria, tout se fait dans un esprit qui ne nous ressemble pas.

Mais Lyria est une société de droit privé, n’a-t-elle pas la liberté d’organiser ses prestations comme elle le souhaite?

On ne peut qu’être inquiet quand une société, soumise à une convention internationale franco-suisse, admet de l’aveu même de son directeur général ne pas avoir de vocation de service public. Je vous rappelle que Lyria est détenue à 100% par la SNCF et les CFF, deux transporteurs qui appartiennent aux Français et aux Suisses. Il y a un long historique avec cette société qui ne cesse de dire qu’elle augmente ses prestations sur la Suisse romande, alors que dans la réalité, le TGV, aujourd’hui, ne va plus sur Neuchâtel et que les dessertes depuis Berne seront supprimées. Voilà pourquoi nous avons des appréhensions pour la suite, car nous n’avons en réalité aucune garantie du maintien de la desserte depuis Lausanne à long terme.

Depuis Lausanne, le TGV reliera Paris 6 fois par jour, c’est tout de même une amélioration...

Oui, mais 3 d’entre eux passeront par Genève, ce qui pose un problème. D’abord le trajet prendra 16 minutes de plus que la liaison directe via Vallorbe. Ensuite parce que cela arrive au moment où le plus grand chantier ferroviaire de Suisse, Léman 2030, commencer sur l’axe Genève-Lausanne, avec de nombreuses perturbations à la clé. Dans l’intervalle la ligne via Vallorbe a déjà bénéficié d’importants travaux financé par la Confédération, y compris sur le territoire français, pour optimiser la circulation des TGV. Elle est totalement opérationnelle avec de nombreux sillons disponibles. On «déshabille» cette ligne justement pour densifier celle qui va justement faire l’objet de travaux et est déjà totalement saturée: cherchez l’erreur!

En parlant de sillons, Lyria affirme que le train supplémentaire qui passera par Genève ne surchargera pas le trafic, car il ne fera qu’occuper un sillon déjà disponible...

On joue sur les mots: il s’agit certes d’un sillon qu’Eurocity n’utilisait pas, mais que les CFF ont récupéré pour placer un InterRegio à une heure de pointe. Pour faire circuler le TGV supplémentaire de 17h30 sur l’axe Genève-Lausanne, on va supprimer un InterRegio qui va jusqu’à Sion et s’arrêtait dans de nombreuses autres gares. Le TGV va donc bel et bien occuper un sillon utilisé par un autre train. Et le pire de tout cela, c’est que dans le cas où un TGV viendrait à arriver en retard à Genève, il est prévu qu’il n’aille pas jusqu’à Lausanne et que les voyageurs se rabattent sur les CFF.

On a le sentiment d’un vrai dialogue de sourds. Comment désormais trouver une sortie de crise?

Pour le moment la situation est peu propice à des solutions sur le court terme. Mais il faut absolument travailler pour le long terme, car ces liaisons sont indissociables de la prospérité de notre canton. L’Office fédéral des Transports a pris la mesure des enjeux et va organiser une rencontre avec tous les partenaires cet été. On espère que les pouvoirs publics des deux côtés du Jura seront enfin entendus.