Plaines-du-Loup: la polémique qui fait réagir Grégoire Junod!

Les tarifs de l’énergie font bondir les habitants du futur écoquartier. Ils dénoncent des prix trois fois plus élevés qu’avec le chauffage à distance, et non négociables durant 40 ans.

Selon eux, cette décision, et d’autres, mettent en danger la mixité sociale souhaitée. Ils craignent que l’écoquartier ne devienne un ghetto pour riches.

Le syndic Grégoire Junod entend calmer le jeu. Il annonce une séance importante d’ici la fin du mois et rappelle les enjeux liés à cet endroit.

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«Rarement un écoquartier en Europe n’aura présenté une telle diversité en termes de mixité sociale. »

Grégoire Junod, syndic de Lausanne

Lausanne Cités: La principale critique émise par ces futurs habitants concerne le tarif de chauffage prévu. Comment est-il possible de proposer un tel tarif dans le cadre d’une coopérative et avec une telle contrainte dans le temps?

Grégoire Junod: Avec les Plaines-du-Loup, nous avons souhaité développer un quartier exemplaire sur le plan écologique. Dans cet esprit, il répondra aux exigences les plus élevées, avec une alimentation en énergie reposant largement sur la géothermie. Trente-cinq sondes seront ainsi installées à une profondeur d’environ 800 mètres. C’est un concept très innovant mais aussi des investissements colossaux. Or ceux-ci ne seront pas à la charge des constructeurs, mais des services industriels lausannois (SIL) qui se refinancent au travers d’un contrat de longue durée. L’énergie, même consommée en plus faible quantité, y sera effectivement plus chère qu’ailleurs, mais en échange, l’essentiel des investissements est effectué par les SIL. Enfin, un contrat à long terme a été souhaité par les investisseurs, pour assurer une stabilité des prix dans la durée. A contrario, qui peut prédire le prix des énergies fossiles dans 40 ans?

La Ville refuse de révéler publiquement les tarifs qui seront exigés d’eux. Pourquoi?

La Ville n’a rien à cacher et ces tarifs seront évidemment rendus publics une fois que toutes les discussions auront été finalisées. Or, ce n’est pas encore le cas. Plusieurs détails, qui comme toujours pèsent dans la balance, sont encore ouverts. Une séance importante doit notamment avoir lieu à la fin du mois, lors de laquelle je dois rencontrer tous les investisseurs de la pièce urbaine E, dont les chantiers doivent démarrer cette année.

Cette attitude ne contribue-t-elle pas, finalement, à rendre plus opaque un projet qui devait pourtant avoir valeur d’exemple, aussi bien en termes de transparence que de réalisation pratique et de visibilité?

Il faut comprendre que nous sommes maintenant à bout touchant, aussi bien de la signature des droits de superficie que des contrats d’énergie. Entre la Ville d’un côté et les investisseurs de l’autre, il y a des intérêts financiers à défendre. C’est normal, et dans cette phase, tout le monde est logé à la même enseigne, les coopératives comme les privés. Cette période n’est pas la plus agréable, elle fait toujours l’objet d’intenses négociations et parfois de tensions, qui ne peuvent logiquement pas se régler sur la place publique. On connaît cela sur tous nos projets immobiliers. Dans ce cadre, nous devons veiller aussi à défendre les intérêts de la Ville, soit de tous les Lausannois, et à assurer des conditions égales aux investisseurs. Ce n’est pas forcément à tous les Lausannois de passer à la caisse pour économiser quelques dizaines de francs par mois sur le prix d’un appartement dont le loyer sera de toute manière inférieur au prix du marché.

Ces mêmes petits investisseurs dénoncent par ailleurs des conditions de droit de superficie pas très avantageuses et critiquées par l’Office fédéral du logement, car ne correspondant pas à ses propres recommandations. Pourquoi Lau sanne ne respecte-t-elle pas les recommandations fédérales en la matière?

C’est une critique ancienne et récurrente. Depuis longtemps, Lausanne, comme Zürich, Bâle ou Genève, pratiquent une rémunération raisonnable de leurs terrains, compatible avec la construction de logements à loyer modéré. Il faut donc se méfier de la critique de l’Office fédéral du logement, qui est aussi celle des milieux immobiliers – ce qui n’est évidemment pas un hasard. En exigeant que les villes renoncent à toute rémunération de leurs terrains, on veut surtout nous pousser à renoncer à toute politique du logement. C’est le rêve des promoteurs. Or, la pratique a montré que l’on pouvait assurer un rendement raisonnable du sol, offrir des loyers abordables, tout en garantissant également aux investisseurs, privés ou publics, des rendements suffisants. Nous le prouvons d’ailleurs depuis de nombreuses années. Sinon comment expliquer que Lausanne concentre à elle-seule près de 50% des logements subventionnés du canton! Aux Plaines-du-Loup, deux tiers des logements auront des loyers inférieurs au marché et seront le fait d’investisseurs d’utilité publique. C’est un engagement fort que nous avons pris en faveur de la construction de logements abordables pour toute la population.

La Ville aurait par ailleurs multiplié les décisions reportant certains coûts de construction sur les futurs acheteurs, ce qui n’était pas clairement précisé dans l’appel d’offres. Quelle réponse leur apporter?

Les Plaines-du-Loup sont un projet novateur à plusieurs titres: sur le plan écologique, en termes de participation ou de qualité architecturale mais également en termes de mixité sociale. C’est aussi un projet complexe, avec de nombreux investisseurs privés et publics. Il y a donc forcément quelques imprévus sur un projet de cette ampleur. Mais encore une fois, les discussions financières entre les investisseurs et la Ville n’ont pas à avoir lieu sur la place publique.

Les coopératives se battent pour des logements accessibles. Elles estiment que ces «manquements» mettent la mixité sociale du quartier en danger. N’ont-elles pas raison?

En aucun cas. Les engagements pris seront pleinement respectés, avec un tiers de logements subventionnés, un tiers de logements à loyer abordable et un dernier tiers de marché libre ou de PPE.

Que répondre enfin à celles et ceux qui vont jusqu’à dire que les Plaines-du-Loup pourraient, dans ces conditions, être condamnées à devenir un ghetto pour riches?

C’est absurde. C’est en réalité plutôt la critique inverse qu’on pourrait nous faire. Rarement un écoquartier en Europe n’aura présenté une telle diversité en termes de mixité sociale. A cet égard, le projet à une réelle valeur d’exemple. Avec deux tiers des logements d’utilité publique, on sera parfaitement en phase avec le vote des Lausannois dimanche dernier qui ont plébiscité à plus de 74% l’initiative «Davantage de logements abordables».

Un modèle ou un ghetto pour riches? L'éditorial de Philippe Kottelat

Il y a une vingtaine d’années, on en parlait comme d’une révolution qui se mettait en marche. Aujourd’hui, les écoquartiers se multiplient et semblent à bien des égards, et pour beaucoup, représenter une solution d’avenir pour créer et développer des villes durables.

Energies renouvelables, meilleure gestion de l’eau, mobilité douce, tri et valorisation des déchets ou encore limitation des nuisances, l’idée de faire un modèle de ces lieux fait sens. Avec, au-delà de la pure question écologique, l’enjeu qui consiste à y créer aussi une mixité sociale et générationnelle et à casser la spirale financière qu’on connaît en matière de logement. Difficile de ne pas être séduit!

Encore faut-il, quand une ville se lance dans ce type d’opération, donner le bon exemple pour ne pas créer, avant même que ces quartiers ne prennent vie, une situation qui pourrait devenir conflictuelle. Ainsi en-est-il, en tous cas, du futur éco-quartier des Plaines -du-Loup où un groupe de coopérateurs dénonce aujourd’hui le prix prohibitif, disent-ils, du chauffage qu’ils seront appelés à payer dans le futur et le fait que la Ville de Lausanne a multiplié les décisions reportant certains coûts de construction sur eux.

Dans notre édition de cette semaine (lire ci-contre), le syndic Grégoire Junod donne sa version des faits et explique, notamment, pourquoi les tarifs de l’électricité seront effectivement plus chers qu’ailleurs, et non négociables durant 40 ans. Il annonce dans la foulée une rencontre avec les principaux intéressés avant la fin de ce mois encore. Histoire sans doute de juguler la crise qui se fait jour, de négocier peut-être certains points litigieux, et de permettre de faire taire les critiques avant que les constructions ne démarrent. Une démarche nécessaire pour que l’éco-quartier soit vraiment un laboratoire de pointe en matière de ville du futur et ne devienne pas à terme, comme le craignent aujourd’hui ces coopérateurs en colère, un simple ghetto pour riches.