Plus d’un petit commerçant sur deux craint de fermer définitivement boutique

Rues désertes, arcades et magasins fermés, les petits commerçants sont touchés de plein fouet par les mesures mises en place pour lutter contre la pandémie.
Selon un questionnaire interne réalisé par la Société coopérative des commerçants lausannois (SCCL), plus d’un sur deux craint de ne pas survivre à la crise.
Chez les cafetiers-restaurateurs, c’est aussi l’angoisse et la peur qui prédominent.

«C’est la pérennité du tissu économique régional qui est en jeu.»

Tomé Varéla, Secrétaire général de la SCCL

ll n’est sans doute pas le seul, en cette période sombre, à envisager de devoir mettre définitivement la clé sous le paillasson suite à la pandémie de coronavirus. Mais Davide Cataldo n’avait pas le choix. Faute de clients, faute de rentrées financières, faute d’une aide institutionnelle suffisante pour pouvoir, ne serait-ce que quelques semaines, espérer faire le dos rond avant un retour à la normale, il s’est résolu à jeter l’éponge. Définitivement, au terme d’une aventure qui aura duré 6 ans.

Un fournisseur italien

C’était en 2014. Davide et sa femme Daniela fondaient alors Concept Diffusion Sarl, un sigle derrière lequel se cachaient la production et la vente de sacs à mains, les sacs Obag, véritable success story locale avec notamment, 3 prix du public récoltés en 2017, 2018 et 2019 dans le cadre du Prix du Commerce lausannois. «Je suis bien sûr déçu, mais je n’avais pas d’autre choix» explique-t-il. «Notre fournisseur principal se trouve en Italie, dans la région la plus touchée par la pandémie. Il est en arrêt de production depuis février dernier, ce qui nous a amenés à anticiper ce qui allait arriver en Suisse. Ceci d’autant plus que les mesures d’aide du Conseil Fédéral ne peuvent être salvatrices en ce qui nous concerne».

Davide Cataldo a donc liquidé son stock à perte deux semaines avant que l’obligation de fermer les commerces soit annoncée dans le canton afin de pouvoir faire face aux paiements des salaires et des charges, les liquidités étant insuffisantes en mai pour pouvoir continuer. «Nous sommes passés du statut d’entrepreneurs heureux à celui d’entrepreneurs malheureux. C’est la faute… à pas de chance! La santé d’abord, la survie ensuite», conclut-il avec beaucoup de philosophie.

Un sur deux craint la faillite

Etant donné la nature de son commerce, son cas est certes particulier. Il n’en demeure pas moins emblématique de la crise que traversent tous les petits commerçants. A Lausanne et dans sa région, ils sont des dizaines à faire face aux mêmes interrogations. De quoi demain sera-t-il fait? Comment payer le loyer de la chose louée et toutes les charges annexes? Que faire des stocks? Est-il possible de résister et faire preuve d’optimisme, avec toutes les incertitudes par les temps qui courent?

Un questionnaire interne réalisé par la Société coopérative des commerçants lausannois (SCCL) en dit long sur leurs états d’âme. «Nous l’avons lancé il y a une dizaine de jours et les retours sont très nombreux. Ils sont significatifs de la détresse dans laquelle beaucoup de commerçants se retrouvent aujourd’hui», explique Tomé Varela, le secrétaire général de la SCCL. On y apprend ainsi que plus de 70% des enseignes sont fermées en raison des directives édictées par la Confédération et le Canton et que moins de 35% d’entre-elles continuent de vendre sur internet. Le gain réalisé dans ce cas de figure est toutefois mineur par rapport à au chiffre d’affaires habituel, tant et si bien qu’in fine, 50% des répondants indiquent une perte de chiffre d’affaires de 100%, alors que 72% d’entre-eux en indiquent une d’au moins 75%.

Le chiffre le plus parlant de ce questionnaire concerne toutefois l’état d’esprit dans lequel se trouvent les petits commerçants: 55% d’entre-eux, soit grosso modo un peu plus d’un sur eux, indiquent ainsi que la crise met en péril leur activité, autrement dit qu’ils redoutent une faillite pure et simple. Un chiffre qui pourrait encore augmenter puisque, parallèlement, 30% ne veulent pas se prononcer pour l’heure à ce sujet.

Des mesures urgentes

Pour faire face, la SCCL estime qu’il faut des mesures fortes. Parmi ses principales revendications, elle demande que la TVA et les charges sociales pour 2020 (et même 2021) soient annulées. Elle souhaite aussi que le niveau des RHT (réductions d’horaire de travail) et APG (allocations pour perte de gain) pour indépendants et dirigeants soit augmenté et qu’une subvention à fonds perdus soit allouée pour compenser la perte de chiffre d’affaires, les prêts prévus à cet effet ne faisant que différer le problème.

«La Confédération a les moyens financiers de venir en aide à ceux qui ont eu les pertes de chiffres les plus importantes avec une stratégie de subventions à fonds perdus pour des cas très concrets» précise une note de la SCCL.

Enfin, elle souhaite une exonération des loyers pour toute la période de fermeture forcée. Par esprit d’entraide, elle appelle ainsi solennellement les propriétaires de locaux commerciaux à annuler leurs loyers pour toute la période touchée par l’obligation de fermeture des commerces.. Non sans rappeler qu’en tant que propriétaire de baux commerciaux elle-même, elle a pour sa part pris la décision d’annuler tous ses loyers pour le mois d’avril 2020, cette mesure pouvant être reconduite si les délais fixés dans l’ordonnance fédérale devaient être prolongé.

«C’est la pérennité du tissu économique régional qui est en jeu», précise Tomé Varela. «Face à ce chaos, il est de la responsabilité de chacun de prendre des mesures de soutien rapides et proportionnées.»

Gilles Meystre: «Les cafetiers-restaurateurs vivent dans l’angoisse et la peur!»

A l’image des petits commerçants, les restaurateurs paient un fort tribut à la crise. Le point avec le président de GastroVaud, Gilles Meystre.

Lausanne Cités: Depuis le lundi 16 mars, tous les restaurants du canton sont officiellement fermés. Vous êtes naturellement en contact avec beaucoup de restaurateurs. Plus de trois semaines après, dans quel état d’esprit sont-ils?
Gilles Meystre:
Dans l’angoisse et la peur. Car les mesures mises en places ne leur offrent qu’un léger bol d’air qui demain, se transformera en asphyxie! Les prêts sans intérêt, le report des loyers ou le droit à une indemnité de 3320 francs pour les indépendants sont des bombes à retardement dont toute la société subira les effets: faillites, explosion du chômage, etc...

Beaucoup craignent de devoir mettre définitivement la clé sous le paillasson ?
Oui. Car imaginez: avec l’aumône de 3’320 francs qu’il reçoit, le patron d’une petite SA ou d’une Sàrl doit payer son loyer commercial, les cotisations sociales de ses collaborateurs, l’assurance-maladie de sa famille, son loyer d’habitation, ses impôts, etc. Sans mesures d’aide complémentaires, c’est mission impossible!

Le personnel des restaurants bénéficie des indemnités pour réduction de l’horaire de travail (RHT), mais il n’en va pas de même pour les employeurs. Et c’est là que le bât blesse…
Effectivement. Les RHT permettent heureusement de garantir 80% des salaires des employés. Mais pour les employeurs, tout reste à faire! Au sortir de la crise, on pourrait bien se retrouver avec des employés financièrement sauvés grâce aux RHT, mais avec des patrons étouffés et ruinés. Aider le commerce local aujourd’hui, c’est éviter sa ruine demain. Et protéger des milliers d’emplois!

Des mesures ont toutefois été prises pour les aider à traverser cette crise...
Oui, mais ce sont des mesurettes. Prenez les prêts proposés par le SECO. Ils sont dangereux! Premièrement, l’intérêt est nul la première année seulement… Deuxièmement, ils augmentent l’endettement. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles! Il faut des aides à fonds perdus. Car les indépendants ne sont en rien responsables du tsunami actuel. Evitons-leur la double peine: la fermeture imposée puis l’endettement imposé… La Suisse et le Canton en ont les moyens.

D’autres revendications?
Il faut travailler sur les loyers, en trouvant un accord entre bailleurs, locataires et Canton, pour que chacun fasse un pas vers l’autre. Et compenser, seul ou avec Berne, la différence entre l’indemnité de 3’320 francs et le montant que les employeurs recevraient s’ils bénéficiaient des RHT. Ils méritent mieux que le mépris actuel. Et ce ne serait que justice, puisqu’ils ont cotisé et payé des impôts pendant des décennies!

Votre état d’esprit aujourd’hui?
Inquiet mais combatif!