Restaurateurs: la galère ne fait que commencer

Si elle réjouit établissements et consommateurs, la réouverture des cafés et bistrots la semaine prochaine cache une réalité occultée: la profession est loin de voir le bout du tunnel et les faillites devraient pleuvoir dans les mois et années à venir.

  • Alors que le mauvais temps n’a pas permis d’optimiser l’occupation des terrasses, l’avenir s’annonce bien sombre pour les restaurateurs. CA

    Alors que le mauvais temps n’a pas permis d’optimiser l’occupation des terrasses, l’avenir s’annonce bien sombre pour les restaurateurs. CA

«Il faudra 3 à 7 ans pour qu’un établissement puisse encaisser la claque que l’on a prise »

Susan Sax, présidente de Gastro Lausanne

Avec un peu de chance et sous réserve de la confirmation des autorités fédérales, les cafés bistrots et autres restaurants devraient pouvoir complètement rouvrir ce 31 mai. Et si les consommateurs ne peuvent que s’en réjouir, les patrons d’établissements se tiennent le ventre. Car loin d’autoriser les plus folles espérances, la réouverture est synonyme pour eux de moult interrogations et inquiétudes.

«Même si tout devait repartir absolument comme avant, ce qui est loin d’être encore le cas, il faudra au moins 3 à 7 ans pour qu’un établissement puisse encaisser la claque que l’on a prise depuis 2020. Celui ou celle qui s’en sortira le mieux ne remettra pas ses comptes à zéro avant 2024 au moins», pronostique Susan Sax, présidente de Gastro Lausanne, l’association faîtière des restaurateurs lausannois, qui ajoute: «Même si nous sommes très contents que les RHT aient été prolongées et les démarches administratives simplifiées, nous savons que cela va être très compliqué dans les mois et années à venir».

A court terme, la réouverture ce 31 mai, n’est en aucun cas garantie de reprise des affaires «comme au bon vieux temps». D’abord les restrictions actuellement de mise pour les terrasses resteront valides pour l’intérieur des établissements: respect des distances, social pass pour tout le monde, 4 personnes par table, «un vrai gymkhana à encadrer pour les employés et moins de clientèle pour le restaurant» résume Susan Sax.

Et il y a pire, avec une difficulté qui risque d’étrangler encore plus les établissements. Car si les RHT leur ont permis de respirer et survivre au plus fort de la crise, elles leur posent aujourd’hui un vrai problème sous le régime des RHT en effet, pas de possibilité pour les salariés de déposer des vacances. Le résultat c’est qu’à peine le travail repris, les salariés auront jusqu’au 31 décembre 2021 pour prendre les vacances non prises en 2020 et en 2021! «Les employés devront donc partir en vacances pile au moment où on en a le plus besoin», déplore Frédérique Beauvois, la désormais célèbre porte-parole du collectif vaudois «Qui va payer l’addition?» devenue le porte-voix des restaurateurs en souffrance. «C’est simple, soit je les laisse partir, soit je devrai leur payer leurs vacances, résume un patron de bistrot du centre-ville. Dans tous les cas, cela implique de l’argent à débourser ou un manque à gagner vu la réduction de mes effectifs. Sans aucun doute, je vais travailler à perte».

Ardoise à rembourser

Travailler à perte, c’est bel et bien ce qui risque d’arriver à une très grande majorité de la profession au cours des années à venir. Car il y a aussi, sur le plus long terme, une terrible ardoise à rembourser. D’abord les fameux prêts Covid, remboursables à 5 ans. Des prêts à 0% qui ont été certes fort bienvenus quand la bise fut venue et consentis à hauteur de 10% du chiffre d’affaires de chaque entreprise. «Les restaurateurs ont pu s’endetter jusqu’à 10% de leur chiffre d’affaires. Si on considère que leur marge bénéficiaire annuelle est en général de l’ordre de 3 à 7% de ce chiffre, cela veut dire que le restaurateur ne va pas se payer pendant au moins deux ans, calcule Frédérique Beauvois. C’est évident que cela va plomber l’avenir de la restauration».

Et puis enfin, outre les prêts Covid, il y a les établissements qui ont enregistré une perte de chiffre d’affaires de 40% ou plus en 2020 et qui ont pu bénéficier d’une aide à fonds perdus dans le cadre des cas de rigueur. A fonds perdus? Peut-être pas vraiment.

Faillites en vue?

«Au début, nous nous sommes réjouis de cette aide pour la profession, ajoute Susan Sax de Gastro Lausanne. Sauf que les documents reçus indiquent que le restaurateur devra les rembourser s’il venait à faire des bénéfices, ce qui évidemment mettra à mal la pérennité de son entreprise au moment où elle est déjà très fragilisée».

Au Flon, pourtant marqué par une affluence record de la clientèle à la faveur de la réouverture des terrasses, un patron avertit: «En fait, on n’a fait que déplacer le problème. Les mesures d’aide durant la crise ont permis notre survie à court terme. Mais la vérité, c’est que si on ne fait rien, les faillites évitées depuis 15 mois vont pleuvoir dans les années à venir».

Des terrasses «pour le plaisir»

L’ouverture des terrasses au début du mois de mai, malgré la simplification des mesures administratives et les possibilités d’extension gratuitement consenties par la Ville pour une surface de 5000 m2, n’a pour l’immense majorité des restaurateurs pas signifié la fin de leur chemin de croix. «On savait d’entrée de jeu que rouvrir les terrasses, c’était plus pour le plaisir de retrouver le travail et sa clientèle, observe Susan Sax, présidente de Gastro Lausanne. Sur le plan strictement économique on a travaillé à perte, surtout en raison des restrictions du nombre de tables liées à la pandémie». Le temps, comme chacun a pu le constater, aura fait le reste. ChA