Sans-papiers: le canton de Vaud plus hypocrite que Genève?

- Afin de "mettre fin à l'hypocrisie", Genève a engagé une démarche de régularisation à grande échelle de ses sans-papiers.

- Le Grand Conseil vaudois a nettement rejeté une résolution demandant une procédure similaire.

- Serions-nous plus hypocrites que nos voisins qui veulent donner un statut légal à des personnes qui vivent et travaillent au su et au vu de tous,  y compris des autorités?

  •  A Genève, des milliers de sans-papiers s'apprêtent à obtenir le précieux sésame. DR

    A Genève, des milliers de sans-papiers s'apprêtent à obtenir le précieux sésame. DR

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    A Genève, des milliers de sans-papiers s'apprêtent à obtenir le précieux sésame. DR

«Nous n’avons pas attendu les Genevois pour agir depuis des années»

Philippe Leuba, conseiller d’Etat en charge de l’économie et du sport

Vous avez dit hypocrisie? Le mot, en tout cas, blesse et fait mouche. Et c’est bien celui qui est dans toutes les bouches, à gauche, pour qualifier la situation des sans-papiers qui, chez nous en Suisse et dans le canton de Vaud, vivent, travaillent, payent des impôts, cotisent à l’AVS, ceci sans disposer d’aucun statut légal.

De bonne guerre dans un affrontement idéologique qui oppose la droite à la gauche, le mot hypocrite prend clairement une tout autre dimension quand c’est un conseiller d’Etat, de droite, qui n’hésite pas à l’utiliser. Il y a un mois, le Genevois Pierre Maudet annonçait le lancement de «Papyrus», une opération à grande échelle de régularisation de sans-papiers - avec la collaboration de Berne! - qui travaillent dans son canton, pour mettre fin selon ses propres termes à «une hypocrisie institutionnelle». Du coup, nous Vaudois, serions-nous plus hypocrites que les Genevois, dont le Conseil d’Etat à majorité de droite vient de réussir ce que notre Conseil d’Etat qui penche pourtant à gauche, n’a pas pu ou su mettre en œuvre?

D’abord un constat: dans le canton de Vaud, ils seraient environ 12’000 - les chiffres sont évidemment très approximatifs - à travailler sans papiers. Au noir donc. Ou plus exactement au gris. Car les autorités connaissent leur existence, leur lieu de travail, leur adresse et souvent même scolarisent leurs enfants. «Pour l’AVS, toute personne qui exerce un emploi en Suisse se doit de cotiser, ceci sans préjuger de son statut en terme de droit de séjour, explique ainsi Jean-Marc Borcard, chef de la division cotisation à la Caisse cantonale vaudoise de compensation AVS. A ce titre, une personne même sans papiers doit cotiser dès lors qu’elle exerce une activité lucrative et pourrait prétendre à des prestations AVS selon la législation en vigueur».

On a donc connu moins ambigu comme situation. Ceci d’autant que si ces personnes profitent de la prospérité de notre canton, elles y contribuent également, car elles exercent des activités professionnelles dont bien peu de personnes veulent: domesticité, construction, agriculture, nettoyage, etc...

Emplois peu qualifiés

«Il s’agit en général d’emplois très peu qualifiés, à forte pénibilité et à basse rémunération, explique l’avocat et député Jean-Michel Dolivo devenu porte-étendard de la régularisation des sans-papiers dans le canton. Nous sommes dans un déni de réalité, car ces personnes travaillent pour répondre à un besoin, tout en constituant une main d’œuvre bon marché, vulnérable, taillable et corvéable à merci».

Alors, pour «mettre fin à l’hypocrisie», l’avocat s’est engouffré dans la brèche et dans la foulée de l’«opération Papyrus» genevoise, à déposé au Grand Conseil une résolution, peu contraignante d’ailleurs, demandant aux autorités d’envisager une procédure semblable à celle menée au bout du lac.

Avantages économiques

Et le résultat a été cinglant et sans appel, puisque le législatif, dans un quasi-parfait clivage gauche-droite a rejeté le 7 mars dernier la résolution par 71 contre et 60 pour. Alors, comment expliquer les raisons de cet échec? «Monsieur Dolivo ne s’est pas adressé au Conseil d’Etat, réplique sèchement - période électorale oblige - Pierre-Yves Maillard, le président du gouvernement vaudois. Il s’est adressé immédiatement et sans préparation au Grand conseil et a essuyé un refus. Pour l’heure donc, le Conseil d’Etat n’a pas pris d’option à ce stade et reste attentif aux effets concrets de la démarche genevoise».

«Le Grand Conseil a refusé ma résolution: maintenir cette main d’œuvre dans une situation très précaire a des avantages économiques pour ceux qui l’exploitent, rétorque Jean-Michel Dolivo. Le principal argument avancé contre une régularisation est qu’elle entrainerait un appel d’air qui pousserait d’autres clandestins à venir. C’est absurde, car les emplois disponibles dans les secteurs concernés ne sont pas du tout en nombre illimité. Or, les sans-papiers doivent travailler pour survivre, car ils n’ont pas droit à l’aide sociale ou au chômage».

Plus de 1400 personnes régularisées

Le risque d’un appel d’air. C’est en tout cas également un des arguments avancés par le conseiller d’Etat Philippe Leuba, en charge de cet épineux dossier. «Evidemment qu’une régularisation de grande ampleur créerait un appel d’air, avec le risque supplémentaire que cela génère de la xénophobie. Par ailleurs, ce genre de politique pose un autre problème: si on appelle les clandestins à sortir du bois pour se régulariser et que Berne, - qui a le dernier mot - leur oppose une fin de non-recevoir, le Canton doit exécuter le renvoi. Le clandestin aura alors le sentiment d’avoir été trompé. Les médias et l’opinion publique ne manqueraient pas de considérer que c’est incompatible avec la bonne foi de l’Etat!»

Et de défendre son bilan en la matière: «Nous n’avons pas attendu l’exemple genevois pour agir. Sans publicité exagérée, nous avons, entre 2008 et 2016, obtenu au cas par cas, la régularisation de 652 sans-papiers et celle de 804 requérants d’asile déboutés. Ceci au moment où le canton de Zurich, bien plus peuplé, n’a régularisé que 10 personnes en moyenne chaque année. Notre politique porte donc ses fruits et c’est probablement cela aussi qui a conduit les parlementaires à rejeter la résolution Dolivo. Je n’ai pas à juger de la démarche des autorités genevoises, mais je ne vois pas ce qui dans notre canton, pourrait être modifié dans ce domaine sans que le remède soit pire que le mal». A se demander pour finir, si les Vaudois ne seraient donc finalement pas moins hypocrites que ces maladroits de Genevois, décidément bien hypocrites de vouloir en finir avec l’hypocrisie.