"Si les mesures sanitaires sont respectées, la durée du quasi-confinement sera limitée"

Quelque trois semaines après les mesures de confinement décidées par la Confédération, la courbe de la pandémie ne fléchit pas encore en Suisse. Dans le long entretien qu’elle nous a accordé, la presidente du Conseil d’Etat Nuria Gorrite loue toutefois la formidable solidarité  qui se joue entre les Vaudoises et les Vaudois à cette occasion.

 

 

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"Nous avons la preuve sous les yeux que notre monde est devenu profondément interconnecté; ce qui se passe sur un marché à Wuhan peut avoir des conséquences en quelques semaines à Lausanne."

Lausanne Cités: Il a fallu beaucoup d’efforts pour que les gens comprennent la nécessité de se plier aux mesures édictées par le Canton et la Confédération. Comment expliquez-vous que tant de Suissesses et des Suisses, généralement reconnus pour leur attitude disciplinée, se soient montrés si désinvoltes dans un premier temps?
Nuria Gorrite: La Suisse s’est longtemps crue préservée des malheurs du monde. Nous n’avons pas connu de tels évènements depuis la Deuxième guerre mondiale. Il est donc bien compréhensible qu’il ait fallu quelques jours avant que l’immense majorité de la population ne réalise l’ampleur du phénomène, et se comporte en conséquence. Mais je note que très rapidement, la responsabilité de chacune et chacun, et la solidarité, ont pris le dessus.

Les règles semblent  en effet beaucoup mieux respectées. On ne note toutefois pas de fléchissement notable de la courbe des infections. Ne serait serait-il dès lors pas nécessaire de passer à un confinement plus strict?
En ayant fermé les écoles, les commerces non-essentiels et interdit les rassemblements de plus de 5 personnes, nous sommes déjà dans un confinement quasi-total en laissant toutefois un espace de liberté. Le Conseil fédéral ne souhaite pour l’heure pas aller plus loin. Pour notre part, nous sommes inquiets de la situation sur les lieux de travail non-essentiels, comme les chantiers ou l’industrie, où le respect des mesures sanitaires est quasiment impossible à mettre en œuvre. Le Canton utilise sa marge de manœuvre pour contrôler, et si nécessaire interdire, les chantiers qui ne respecteraient pas ces mesures.

Le Conseil fédéral n’a pas voulu aller plus loin. On lui reproche d’avoir cédé aux sirènes des milieux économiques. Quel est votre analyse à ce sujet?
Le Conseil fédéral a la responsabilité de prendre les mesures les plus efficaces pour lutter contre l’épidémie sur l’ensemble du territoire et en même temps, il doit s’assurer que les mesures prises seront largement respectées par la population, car nous ne sommes pas un état policier qui pourrait contrôler chaque individu. Sa tâche est extrêmement difficile, mais je suis confiante en sa gestion de la crise. 

Pour vous, qu’est ce qui a été personnellement le plus difficile à gérer dans cette crise?
Le moment le plus difficile a sans doute été d’ordonner le passage au plan de continuité de l’Etat. Renvoyer 18’000 collaboratrices et collaborateurs à la maison était un moment qui signifiait un basculement dans une phase extrêmement critique.  Sur un plan plus personnel, ma fille travaille actuellement  à l’étranger, sans possibilité de rentrer. En tant que maman, j’ai une pensée particulière pour toutes les personnes qui sont coupées de leurs proches en raison de cette situation inédite.

Le canton a-t-il les moyens financiers pour pouvoir durablement soutenir les secteurs, notamment économiques, qui seront sinistrés?
Dès le début de la crise, le Canton a immédiatement annoncé des importantes mesures de soutien financier pour les entreprises et pour les salariés. Rapidement, la Confédération a débloqué des fonds à hauteur de plusieurs dizaines de milliards de francs pour atténuer les effets de la crise, y compris pour les indépendants. Mais il est clair que pour sortir de la crise, le Canton devra réfléchir à des formes de soutien approprié aux spécificités de l’économie vaudoise – je pense notamment à l’importance du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration et de la culture. Il serait tragique que des évènements majeurs, qui font la réputation du Canton à travers le monde et contribuent à notre prospérité, disparaissent dans la crise.

Selon vous, quels sont les principaux atouts du canton pour tirer son épingle du jeu après la crise?
Je suis frappée par l’immense élan de solidarité qui s’est mis en place spontanément à travers tout le canton, que ce soit via les réseaux sociaux, les associations, les syndicats, les Eglises, les entreprises ou simplement dans le voisinage. Nous avons une société très soudée et très solidaire et nous en bénéficierons pour sortir ensemble de la crise. Cette crise appelle à faire preuve d’humilité dans tous les aspects de la vie en société. Je me réjouis en particulier de l’unité que j’observe dans la classe politique et de la solidité de nos institutions.  Nos finances publiques sont solides depuis une quinzaine d’années et donnent les moyens au Canton de faire face aux difficultés et d’investir pour relancer l’économie. Nous devrons le faire en respectant nos priorités cantonales, notamment le développement de notre solidarité, et la protection du climat et de l’environnement.  

Cela dit, cette crise va incontestablement durer plus longtemps qu’on l’a imaginé. Quel message la présidente du Conseil d’Etat peut-elle adresser aux Vaudoises et aux Vaudois, au-delà bien sûr des règles de base à respecter?
Nous sommes entrés dans le temps long de la crise du coronavirus. Si les mesures sanitaires sont respectées, la durée du quasi-confinement dans lequel nous nous trouvons sera réduite. Chacune et chacun peut donc jouer son rôle. Vous savez, ce que révèle cette crise c’est aussi la formidable solidarité qui se joue entre les Vaudoises et les Vaudois, entre les générations, entre la population et les travailleuses et travailleurs qui sont au front et qui font un travail remarquable. Je les en remercie profondément.

Après deux mois de bouclage pour cause de coronavirus, la province chinoise du Hubei a commencé mercredi à ouvrir ses portes. Un signe prometteur?
Vraisemblablement, la Chine a réussi à contrôler la propagation de l’épidémie, et je m’en réjouis. Chaque pays, et en Suisse on peut dire chaque canton, répond un peu différemment à la crise, et trouve des solutions pour la gérer qui correspondent à sa société et à ses institutions. Nous suivons avec attention la situation dans le reste du monde, en Chine bien sûr, mais aussi en Italie, en France et en Allemagne; et nous apprenons des expériences des autres. Mais oui, ensemble, nous sortirons de cette crise car nous savons que nous ne relâcherons aucun effort.

Plus généralement, que vous inspire cette crise hors normes? Pensez-vous qu’il sera, demain, possible de «revivre comme avant»?
Ce qui me frappe vraiment, c’est que nous avons la preuve sous les yeux que notre monde est devenu profondément interconnecté; ce qui se passe sur un marché à Wuhan peut avoir des conséquences en quelques semaines à Lausanne. Et dans cette situation exceptionnelle, très déstabilisante pour la plupart des gens, nous avons en Suisse un Etat solide et protecteur, avec ses hôpitaux, ses écoles, son armée, sa protection civile, qui apporte des réponses – parfois imparfaites - mais en lesquelles la population est en droit de placer sa confiance.

La démocratie va-t-elle à vos yeux sortir indemne de tout cela?
Je pense même qu’elle en sortira renforcée! La force d’une démocratie, c’est de répondre rapidement aux besoins de la population et de pouvoir tirer des enseignements de ses expériences. Nous devrons dorénavant adapter nos institutions aux nouveaux défis, par exemple une situation de pandémie. Je pense en particulier à la capacité de nos institutions à utiliser les nouvelles technologies pour continuer de fonctionner en toutes circonstances.  J’ai confiance, car nous en avons les moyens et la volonté.