«Si Ramadan est coupable, ce sera vraiment compliqué»

  • A la fois populaire et décrié, Tariq Ramadan est dans la tempête depuis le mois d’octobre dernier avec, à ce jour, 4 plaintes pour viol déposées contre lui.
  • Les accusations dont il fait l’objet suscitent un énorme malaise parmi les musulmans de Suisse, oscillant entre consternation et théorie du complot.
  • Président de l’Union vaudoise des associations musulmanes, Pascal Gemperli n’exclut pas «un acharnement judiciaire».

  •  Pascal Gemperli, président de l’Union vaudoise des associations musulmanes. dr

    Pascal Gemperli, président de l’Union vaudoise des associations musulmanes. dr

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«Tout ce que j’ai vu et lu de Tariq Ramadan va à l’encontre du double discours qu’on lui impute»

L’UVAM est l’une des seules associations en Suisse romande qui a tenu à réagir à l’affaire Ramadan en diffusant un communiqué de presse. Cette affaire suscite-t-elle un malaise parmi les musulmans vaudois?

Oui très clairement! En tout cas parmi ceux que l’on retrouve dans les mosquées ou les associations musulmanes. Plusieurs personnes ont ainsi estimé qu’il était nécessaire de réagir. Et puis aussi parce que j’observe un grand écart entre la perception qu’a l’opinion publique de Tariq Ramadan et l’expérience que j’ai du personnage. A titre personnel, tout ce que j’ai vu et lu de Tariq Ramadan va à l’encontre du double discours qu’on lui impute. Pour moi, il véhicule des idées de respect de la loi, d’amour d’autrui et de dialogue religieux. Certaines de ses prises de position sont même quasiment révolutionnaires aux yeux de l’orthodoxie musulmane, au point d’ailleurs qu’elles lui ont valu les foudres des plus conservateurs.

Dans un communiqué vous dénoncez les préjugés véhiculés par la presse à son encontre. Vous parlez même de juges autoproclamés…

Oui, surtout au moment où l’affaire a éclaté. Tout était formulé comme s’il était coupable, sans tenir compte de la présomption d’innocence. Même s’il me semble que la presse suisse est ensuite revenue à plus de mesure.

Ce n’est pas propre à Tariq Ramadan. Bien d’autres avant lui, Dominique Strauss Kahn, et bien des ministres français ont subi un traitement médiatique similaire...

C’est vrai, mais chacun doit maîtriser ses sensibilités respectives. Les nôtres peuvent parfois être exacerbées, mais elles sont sincères. Les faire entendre de manière posée fait partie des responsabilités de l’UVAM. Nous avons eu l’impression que la presse se déchaînait contre lui comme si on cherchait à le faire tomber, sans préjuger de son innocence, et c’est d’autant plus sensible dans un climat déjà malsain.

Pensez-vous en outre qu’il est victime d’un acharnement judiciaire?

Difficile de répondre. D’une manière générale en France et pour des raisons multiples, il y a un problème très grave dans les relations avec la communauté musulmane et l’affaire Mennel (la candidate qui a dû renoncer à participer à l’émission The Voice, ndlr) en est un exemple récent. Dans cette optique, il me semble plausible que les juges aient aussi de la difficulté à s’extraire des préjugés collectifs, même de manière inconsciente.

Y a-t-il selon vous également un problème avec l’Islam en Suisse?

Sans aller jusqu’à dire que tout va bien ici, beaucoup moins qu’en France! Ici le problème se pose par importation, notamment, liée à la situation en France et aux attentats qu’il y a eu partout... Ce qu’il y a de certain en outre, c’est que la population suisse connaît mal ses concitoyens musulmans, leur diversité et les juge souvent à l’aune des plus extrémistes. Or je suis convaincu que jamais le discours extrémiste ne prévaudra au sein des musulmans de Suisse. Ce que l’on ne connaît pas fait peur.

La presse française, mais aussi suisse et en particulier genevoise, a recueilli des témoignages accablants contre Tariq Ramadan. Cela ne vous a-t-il pas troublé?

En France, les personnes qui ont porté plainte ont un profil un peu particulier, ce qui implique que l’on prenne leur témoignage avec circonspection. A Genève, les témoignages, qui au passage ne révèlent pas d’actes pénalement répréhensibles, m’interpellent différemment. S’ils étaient avérés, ce serait clairement une grave erreur de jeunesse en contradiction avec la cohérence religieuse et la morale professionnelle. Mais il ne faut pas détruire une personne juste parce qu’elle a failli sur un plan, en tenant compte du fait que M. Ramadan a lui-même lancé une procédure à Genève pour faire toute la lumière sur cette affaire.

Et si les viols étaient avérés et Tariq Ramadan finalement condamné?

S’il est coupable, ce sera très compliqué de travailler avec lui, car s’ils venaient à être avérés, les actes reprochés sont graves et parfois même tellement abominables qu’ils relèveraient d’une vraie pathologie. Quant à ses travaux théologiques, j’hésiterais avec regret à les utiliser car ils sont d’une réelle utilité pour argumenter théologiquement en faveur de la paix, du vivre ensemble et pour contrebalancer le normatif avec le spirituel.

Votre communiqué indique que l’UVAM tirerait toutes les conséquences d’une éventuelle condamnation. Quelles seraient ces conséquences?

Je ne peux pas le dire pour l’instant. Ce sera à débattre entre les membres de l’UVAM.

A noter que cet entretien a été réalisé avant qu’une quatrième plainte pour viol ait été déposée la semaine dernière contre Tariq Ramadan.