Taxis propres en 2025: qui va payer l'addition?

TRANSITION • Dans trois ans et demi, l’ensemble des taxis lausannois devra avoir été remplacé par des modèles qui n’émettent pas de CO2. Désemparée, la profession se plaint du flou entourant une transition qui s’annonce délicate et coûteuse.

  • Seuls quatre taxis électriques sont actuellement en circulation à Lausanne. VERISSIMO

    Seuls quatre taxis électriques sont actuellement en circulation à Lausanne. VERISSIMO

«Il pourrait y avoir des subventions pour l’achat de véhicules»

Pierre-Antoine Hildbrand, municipal en charge de l’économie

D’ici le 1er juillet 2025, la totalité du parc automobile des taxis lausannois, soit près de 240 véhicules devrait passer au zéro émission carbone. C’est à dire rouler soit à l’électricité, soit à l’hydrogène. Telle était la décision annoncée il y a près de 18 mois - le 21 juin 2020 -, par le Comité de direction de l’Association de communes de la région lausannoise pour la règlementation du service des taxis. Très concrètement, cela implique que dans à peine trois ans et demi, à peu près tous les véhicules de taxis que l’on voit actuellement circuler à Lausanne, y compris les voitures hybrides, devront avoir été purement et simplement retirés de la circulation professionnelle.

Pour l’heure, on est loin du compte puisque sur les 237 véhicules de taxis recensés dans la capitale vaudoise, seuls quatre sont totalement électriques, trois Tesla et une Hyundai.

Autonomie en cause

Alors que depuis le 1er juillet 2021, il n’est plus possible à un chauffeur de taxi d’immatriculer un véhicule classique, la profession n’hésite pas à exprimer ses inquiétudes. «J’ai fait un sondage auprès de nos membres, annonce Abdelhamid Akrimi, président de l’Union des taxis lausannois. Et franchement, personne n’en veut!». «Pour le moment, on est dans le flou, renchérit Cédric Delorme, patron de la société Taxi Services. Si on doit être honnête et si la loi devait entrer en vigueur en 2022, il n’y aurait aucune solution!».

L’autonomie des véhicules électriques, peu compatible avec l’activité de taxi, semble à l’origine de l’impasse annoncée. «L’autonomie théorique annoncée d’un véhicule électrique est de 400 km, explique Abdelhamid Akrimi. Dans la pratique, il faudra compter au maximum 300 kilomètres, car le matériel embarqué dans une voiture de taxi fonctionne en permanence, même quand elle ne roule pas».

Si un chauffeur de taxi qui travaille à son compte avec son propre véhicule peut se contenter d’une autonomie quotidienne de 300 km (l’automobile se rechargera lors de ses moments de repos), il n’en est pas de même pour les compagnies de taxis. «En échange de notre concession, chaque jour nous devons rouler longtemps. En général, il nous faut donc deux chauffeurs par voiture, un le jour et un la nuit. A quel moment pourra-t-on donc recharger nos véhicules?» s’interroge Cédric Delorme de Taxi Services, qui ajoute: «La solution pourrait être de faire appel à un parc de véhicules loués à l’extérieur. Mais pour l’instant, cela pose des problèmes car les véhicules de taxis doivent obligatoirement être immatriculés au nom du titulaire de la concession».

Autre problème: il n’y a pour l’instant quasiment pas de voitures électriques en format break, un format très prisé par nombre de chauffeurs qui transportent des familles ou une clientèle de palace qui fait souvent usage d’un nombre élevé de bagages.

Coût élevé

Enfin, reste la problématique du coût élevé de l’acquisition d’un véhicule électrique, à un moment où la profession, comme tant d’autres, subit de plein fouet l’impact de la pandémie de Covid. «A mon âge, et si proche de la retraite, il semble impensable d’investir pour changer de véhicule, lance Abdelhamid Akrimi. S’ils veulent de la mobilité douce, qu’ils la subventionnent par une prime à la casse comme c’est le cas en France et surtout, qu’ils commencent eux d’abord, en changeant leurs véhicules de police qui roulent au diesel!» Pour Pierre-Antoine Hildbrand Municipal en charge de la sécurité et de l’économie et Président du Comité de direction du Service intercommunal des taxis, les actuels délais de transition devraient permettre de planifier sans difficulté le renouvellement des véhicules. «Compte tenu de l’ancienneté de certains véhicules, une partie des chauffeurs devra déjà en changer d’ici 2023 pour être en conformité avec les obligations imposées par le Conseil fédéral. En outre, pour les véhicules immatriculés entre le 1er janvier 2019 et le 1er juillet 2021, le délai est d’ores et déjà prolongé jusqu’au 1er juillet 2027».

Et de rassurer: «Notre nouveau comité de direction, constitué le 1er septembre, prévoit d’accompagner l’ensemble de la profession dans cette transition. Cela pourrait passer par des subventions pour l’achat de véhicules ou par l’installation de bornes de recharges, pour lesquelles des aides cantonales sont aussi prévues».

Légitimes inquiétudes, l'éditorial de Charaf Abdessemed

Alors oui, c‘est vrai, ils sont rarement contents, ont tendance à considérer que la voie publique est leur propriété, disent systématiquement non à tout, font parfois des petits arrangements avec leur comptabilité. Mais quand même. Sur ce coup-là, leurs inquiétudes sont légitimes. Il y a un an et demi, les autorités ont décidé qu’en 2025, tous leurs véhicules - sauf exceptions - devraient être propres. L’intention est évidemment louable, mais comme souvent, une fois l’effet d’annonce obtenu, il faut mettre l’ouvrage sur le métier. Car les chauffeurs de taxi aimeraient bien savoir dans quelle direction on veut les emmener. A l’évidence, pour la profession, ce changement pave l’avenir d’un vrai chemin d‘incertitudes. Pour deux raisons: la première est qu’on ignore si la technologie sera suffisamment mature - qu’il s’agisse de l’électrique ou de l’hydrogène - pour leur donner la possibilité, dans moins de quatre ans, d’exercer leur métier avec la même marge de circulation que celle dont ils disposent aujourd’hui (lire ci-contre). La deuxième est politique car, les autorités tardent à leur préciser quelles mesures d’accompagnement elles entendent leur garantir. A trois ans et demi de l’échéance qu’elles ont elles-mêmes fixée, ces dernières ont donc un devoir de clarification.