Une enseignante part en guerre contre la Direction de l’enseignement obligatoire

Licenciée avec effet immédiat le 3 février dernier, l’enseignante Patricia W. conteste en faisant appel au Tribunal administratif de prud’hommes de l’Administration cantonale.
Elle porte également plainte contre le directeur de la Direction générale de l’enseignement obligatoire (DGEO) ainsi que contre la conseillère d’Etat Cesla Amarelle.
Ce litige s’inscrit dans un contexte où les syndicats contestent l’article 61 de la Loi sur le personnel de l’Etat de Vaud permettant le licenciement immédiat.

  • Les motifs de la plainte sont nombreux. MISSON

    Les motifs de la plainte sont nombreux. MISSON

«Le devoir de fidélité a une base légale, mais...»

Gilles Pierrehumbert, secrétaire fédéral au sein du syndicat SUD.

Une plainte pénale déposée par Patricia W., enseignante de degré secondaire licenciée en février dernier, vise les plus hauts échelons de l’Administration cantonale. Sont concernés: un employé des ressources humaines de la Direction générale de l’enseignement obligatoire (DGEO), son directeur général, ainsi que la conseillère d’Etat en charge du Département de la formation Cesla Amarelle. Motifs invoqués, entre autres: abus d’autorité, harcèlement moral et psychologique, diffamation et atteintes à l’honneur, menaces et intimidation. Par son responsable de la communication Julien Scheckter, le Département affirme ne pas pouvoir commenter des affaires en cours devant la justice.

Cette plainte pénale est corrélée à une contestation adressée par l’enseignante au Tribunal de prud’hommes de l’Administration cantonale (TRIPAC) concernant son licenciement immédiat, dont elle demande l’annulation. Cette procédure est l’aboutissement d’un litige qui dure depuis 2019, lorsque Stéphanie, qui deviendra également déléguée syndicale, commence à prendre la défense d’une consœur, qu’un tag sur les murs de l’EPS de Préverenges traitait de «sale pute».

Publications Facebook et devoir d’exemplarité

Après une première lettre de résiliation immédiate des rapports de travail reçue en juin 2020, finalement transformée en avertissement pour des événements étant liés à la défense de sa collègue injuriée, Patricia W. reçoit une nouvelle lettre de licenciement immédiat en février 2021. Les éléments qui lui sont reprochés portent sur ses publications Facebook. La DGEO lui reproche d’avoir publié des propos s’en prenant «aux institutions de notre pays et de notre Canton, ainsi qu’aux élus et aux politiciens vaudois». Les propos en question: «Si ce n’est pas encore fait, les gouvernements et avec eux les institutions et les élus de Suisse et du Canton de Vaud […] qui n’ont sciemment pas protégé la Constitution et les citoyens […] mais ont protégé la corruption, sont sur le point de se prendre une sacrée dérouillée!»

La DGEO a estimé que cette publication violait «le devoir de réserve qui incombe aux collaborateurs de l’Etat de Vaud». D’autres publications Facebook, décrites par la DGEO comme des «thèses conspirationnistes extrêmes» sont par ailleurs jugées préoccupantes et en porte-à-faux avec les buts assignés à l’école et attendus d’une enseignante. Patricia W. le conteste.

«Le devoir de fidélité a une base légale et il est notablement plus exigeant pour certains métiers, comme l’enseignement, mais il ne saurait supplanter complètement l’exercice des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression, explique Gilles Pierrehumbert, Secrétaire fédéral au sein du syndicat SUD. Il y a un équilibre à trouver.»

Des licenciements immédiats en nombre

S’il n’est pas encore possible de savoir si ce licenciement sera considéré comme abusif par le TRIPAC – une séance de conciliation aura lieu ce mois encore - il relance en revanche le débat des licenciements avec effet immédiat pratiqués par l’Etat de Vaud. En réponse à une interpellation de la députée socialiste Tarameh Aminian, en septembre 2020, le Conseil d’Etat affirmait qu’entre juillet 2017 et juillet 2020, 73 licenciements immédiats avaient été prononcés, au sein de l’Administration cantonale et du CHUV confondus. Les licenciements ordinaires, eux, s’élèvent à 56. «Ces chiffres sont assez éclairants et curieux, note Gilles Pierrehumbert, car l’Etat de Vaud congédie davantage par licenciement immédiat qu’ordinaire. Le licenciement pour justes motifs doit rester exceptionnel. Nous avons l’intime conviction que l’Etat l’utilise de manière détournée pour traiter des situations qui devraient l’être par voie ordinaire.»

Depuis quelques années, la Fédération syndicale SUD insiste pour que le Conseil d’Etat ouvre des négociations dans le but d’obtenir une modification de l’article 61 (lire encadré) et de rendre possible la réintégration de celui ou celle qui serait victime d’un licenciement ultérieurement reconnu comme abusif. «Mais l’heure est plutôt au durcissement des rapports de travail et d’une politique plus autoritaire des pouvoirs publics en matière de gestion du personnel», regrette Gilles Pierrehumbert. Joëlle Misson

L'article 61 de la LPers en question

L’article 61 de la Loi sur le personnel de l’Etat de Vaud stipule que l’employeur ou le collaborateur peut résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs. Sont notamment considérés comme tels toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail. La jurisprudence a confirmé que cette loi ne conférait pas de droit à une réintégration même si ce licenciement était reconnu abusif ou infondé.