Une société en phase anale

  • Suzette Sandoz, professeur honoraire à l'Université de Lausanne, ancienne conseillère nationale. DR

    Suzette Sandoz, professeur honoraire à l'Université de Lausanne, ancienne conseillère nationale. DR

Tous les pédiatres vous le diront, un très jeune enfant passe par une phase anale, période de sa vie où il est intéressé par tout ce qui se passe et qui existe au dessous de son nombril.

Depuis plusieurs années, notre société a nettement régressé dans cette phase-là. La publicité évoque ou montre ou suggère le sexe à n’importe quelle occasion. La plupart des humoristes «officiels» de la radio ou de la télévision cèdent à l’humour scatologique dans le verbe ou dans l’image; les journaux – y compris Le Temps que l’on croyait en principe sérieux – ont presque chaque jour un article consacré à un problème sexuel; les jeunes s’interpellent en se traitant affectueusement de «putains», en invoquant le «bordel»; le mot de trois lettres de la langue française – qui, à ma connaissance, n’évoque pas le cerveau d’une femme! Je suis d’ailleurs étonnée que les féministes les plus puristes ne s’insurgent pas! – est d’utilisation si courante qu’on en oublie que les termes de «crétin», «imbécile» ou «benêt» pourraient avoir le même sens, mais moins vulgaire et macho!

N‘y a-t-il pas jusqu’à la très sérieuse «Weltwoche » qui, récemment, intitule un article «Verbale Erektionen»? À vrai dire, l’auteur cite en réalité les propos d’un journaliste de la télévision ouest allemande au sujet des déclarations de M. Donald Trump. On ne fait pas plus subtil!……

Vivement le jour où la mode aura pris fin, en Occident, de dépeindre les gens qui déplaisent ou les événements contestés avec ses excréments ou ses humeurs et où l’on aura enfin dépollué les cerveaux des hormones sexuelles incompatibles avec une réflexion intelligente. Peut-être que le monde occidental, peuplé à nouveau d’adultes, n’ira alors plus si mal. La phase anale prend fin assez rapidement chez les enfants normaux!

Cette chronique a été initialement publiée dans «Le grain de sable», le blog que tient Suzette Sandoz au journal Le Temps. Nous la publions avec son aimable autorisation.