Un drôle de Français à la rue de la Borde

Chaque semaine, Lausanne Cités en collaboration avec l’équipe du livre «Une journée à Lausanne» et les éditions Favre vous proposent deux photographies d’un même lieu à Lausanne, hier et aujourd’hui, accompagnées d’une anecdote y relative. Aujourd’hui, la rue de la Borde.

  • GEOFFREY COTTENCEAU

    GEOFFREY COTTENCEAU

Elisa a épousé Michel Duchêne, un Français originaire de la région de Grenoble. Il est employé à la triperie Solenthaler à deux pas des abattoirs. Avec sa forte identité gauloise, il se tient à l’écart des «petits Suisses». D’abord installé à proximité des parents, au 37 de la rue de la Borde, le couple déménage bientôt à Morges. A leur majorité, leurs enfants optent pour la nationalité française. Un jour de l’été 1940, l’un de leurs fils, Marcel, disparaît, il a 23 ans. Affolées, mère et grand-mère font le tour de la famille à la recherche d’un indice quelconque. Personne ne sait rien mais mon père pense à l’appel du 18 juin. Quelques semaines plus tard, cette hypothèse se révèle juste. Ses parents reçoivent enfin des nouvelles… du lac Tchad. Leur garçon s’est enrôlé dans la 2e DB du général Leclerc. Finalement, ce gaillard va traverser la guerre sans une égratignure, participer à la Libération de Paris, descendre les Champs Elysées en liesse, traverser l’Allemagne et être parmi les premiers à investir le Nid d’aigle d’Hitler à Berchstesgaden. Je l’ai hissé sur un piédestal jusqu’au jour où je le croise à la place Saint-François dans l’uniforme gris souris des employés des transports publics lausannois. Sa casquette et sa caissette à monnaie ne me paraissent pas en rapport avec son prestige de héros. Mon père m’explique que Marcel vit probablement une étape intermédiaire avant de rebondir plus loin.

Christian Ogay. L’invention de Lausanne. Vevey: Editions de l’Aire, 2014.