Jean Chollet: le théâtre dans la peau

CULTURE • Depuis les bancs de l’université, qu’il a quittés il y a près de 50 ans, Jean Chollet a voué une grande partie de son existence au théâtre. Une passion mise au service de tous, souvent constellée de réflexions éthiques et spirituelles.

  • La bâtisse, aujourd’hui classée aux monuments historiques, qui accueille le Bateau-Lune a trouvé un second souffle artistique grâce à Jean Chollet. SIBER/ARC

    La bâtisse, aujourd’hui classée aux monuments historiques, qui accueille le Bateau-Lune a trouvé un second souffle artistique grâce à Jean Chollet. SIBER/ARC

Même si le cadre est enchanteur, et l’environnement bucolique, le lieu de notre rencontre est plutôt inhabituel: une ancienne chapelle située à la sortie sud de Cheseaux-sur-Lausanne. Pour moi en tous cas! Pas pour le pasteur à la retraite, homme de théâtre, dramaturge ou encore écrivain qu’est Jean Chollet. «Sympa l’endroit, non?» Il m’accueille comme il l’a souvent fait, quand il dirigeait l’Espace Culturel des Terreaux à Lausanne, le sourire aux lèvres, le regard vif et pétillant, tout à la fois volubile et passionné, mais toujours prompt aussi à s’interrompre pour écouter attentivement son interlocuteur.

Le virus du théâtre

Il a 67 ans. Il ne les fait pas. C’est pourtant son passage à la retraite, en 2019, qui l’a amené à quitter la capitale vaudoise. «Quand j’ai été rattrapé par l’âge, j’ai dû quitter la direction de l’Espace des Terreaux et j’ai immédiatement voulu me remettre en selle», raconte-t-il. Son rêve? Créer un petit théâtre, hors de la ville, en pleine campagne, dans cet ancien lieu de culte qu’il connaît bien puisqu’il en est le copropriétaire. «Cette chapelle a été bâtie en 1882 par l’Église libre. Elle a ensuite été offerte à la paroisse de Cheseaux qui n’a pas voulu la conserver. Je l’ai donc rachetée il y a une trentaine d’années avec quelques copains de la Compagnie de la Marelle et nous l’avons utilisée comme espace de répétition.»

En la transformant aujourd’hui en un théâtre, ou plutôt en une salle de spectacles destinée plus spécifiquement à la population du Gros-de-Vaud, il écrit donc un nouveau chapitre de sa vie. Une vie plutôt bien remplie, marquée incontestablement du sceau du théâtre, «un vieux plaisir» comme il aime à le répéter. «Je ne peux pas expliquer pourquoi, mais ce milieu m’a tout de suite fasciné, bien que ma famille ne m’y ait emmené que peu souvent». C’est tellement vrai que, encore jeune étudiant qui fréquente les cours de théologie de l’Université de Lausanne, il suit déjà, en parallèle, ceux de l’Ecole romande d’art dramatique.

Sa licence de théologie en poche, et au terme d’un concours, il file à Paris au Conservatoire national d’art dramatique et entre comme stagiaire étranger dans la classe du grand Michel Bouquet. «Ça a été une période magique», se souvient-il. Au terme de celle-ci, cet immense acteur, 95 ans aujourd’hui, lui dit alors: «Ce que vous proposez est très intéressant, moins ce que vous faites». Paroles d’Evangile: suivant ses conseils, Jean Chollet ne deviendra donc pas comédien, mais metteur en scène.

De retour à Lausanne, en 1982, il fonde ainsi la Companie de la Marelle, pour laquelle il écrit des spectacles. Il en réalise aussi pour les Artistes associés de Lausanne et pour le Théâtre du Peuple de Bussang, dans les Vosges, qu’il va diriger durant deux ans. En 1988, c’est le Théâtre du Jorat, à Mézières, qui lui ouvre ses portes. Il restera à sa tête durant vingt ans, soucieux de l’ouvrir à «des spectateurs de toutes catégories». «Le théâtre du Jorat était une institution prestigieuse, mais aussi une coquille vide qui travaillait beaucoup sur la base du bénévolat», se rappelle-t-il. «Il a fallu travailler beaucoup et convaincre aussi pour lui donner une assise plus professionnelle.» Un pari réussi. Il y multipliera les styles, y fera entrer Molière et Ramuz, et l’ouvrira au ballet, à la chanson ou encore à la danse.

Un homme de radio aussi

Parallèlement à toutes ces responsabilités, Jean Chollet a également travaillé durant quinze ans en tant que réalisateur, adaptateur et producteur au Service des émissions dramatiques de la Radio suisse romande, avant d’en devenir le chef. Travailleur infatigable, il fonde encore l’Agora-Théâtre avec plusieurs comédiens et crée finalement, avec le pasteur Serge Molla, l’Espace culturel des Terreaux qu’il va quitter en 2018 après quinze ans de direction.

Oui, le théâtre aura été sa vie… et continue de l’être. Jean Chollet ne lui fera qu’une brève infidélité, en 2010, en revêtissant la robe pastorale. Il souhaite alors «dépoussiérer» l’Eglise protestante vaudoise et lui rendre sa «dimension artistique et émotionnelle». Une infidélité qui n’en est pas vraiment une, tant sa vie artistique a, elle aussi et de tout temps, été marquée par les questions éthiques et spirituelles.

Aujourd’hui, le voilà donc parti pour un nouveau défi, son théâtre de Cheseaux-sur-Lausanne, le Bateau-Lune, qui a pu finalement ouvrir ses portes, après avoir rencontré pas mal de soucis avec la Commission technique de la Ville de Lausanne, puis en raison de la pandémie. Sa première vraie saison a débuté au mois de septembre dernier avec quatorze spectacles à découvrir jusqu’au printemps prochain. Ce qui n’empêche pas Jean Chollet de rêver déjà à un autre projet: exporter à Paris le concept mis en place à l’Espace culturel de Terreaux. Vous avez dit infatigable?