La Municipalité censure un clip de prévention sur le viol

NUITS LAUSANNOISES • Selon nos informations, une campagne de prévention contre le viol devait voir le jour à Lausanne ces jours-ci. Si les citoyens n’en verront finalement rien, c’est qu’elle a été censurée à la toute dernière minute. Par manque de courage ou pour une bonne raison? Les avis divergent.

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Devant la multiplication des cas de viols de jeunes femmes fortement alcoolisées et laissées seules par leurs groupes d’amis, la police judiciaire lausannoise ainsi que les milieux de la prévention et de la santé publique ont choisi de se mobiliser autour d’une grande campagne de prévention.

Pour ce faire, une centaine de milliers de francs d’argent public auraient été investis. Un clip, dont le scénario a été minutieusement validé par de nombreux experts, est prévu au centre de cette campagne afin de toucher les jeunes sur les réseaux sociaux. Le tournage est confié à une boite de production de la région connue pour ses très nombreux succès dans les vidéos de prévention. Grâce à un scénario habile, on y rappelle l’importance de ne pas laisser une amie fortement alcoolisée livrée à elle-même. Une conférence de presse est alors prévue et doit couronner le travail ardu qui a été fourni durant deux ans et demi. Revirement de situation quelques jours plus tard! La Municipalité en interdit la diffusion et demande de garder tout cela secret.

Des raisons floues

Y aurait-il eu une crainte que la Ville et ses clubs soient vus comme des endroits particulièrement dangereux ? « Je peux vous garantir que non. Mais le sujet est éminemment sensible!», confie le Municipal de la Police Pierre-Antoine Hildbrand. Faut-il alors comprendre que c’est le risque de polémique qui était particulièrement craint? «Tout ce que je peux vous dire c’est que nous avons visionné le clip et que nous avons préféré, au vu du contexte, ne pas autoriser sa publication sous cette forme. Il ne correspondait pas à la stratégie globale de lutte contre le viol et le harcèlement de rue que nous mettons en place. Nous sommes très soucieux de ne pas inverser les rôles entre la victime et le criminel», ajoute-t-il.

Cela dit, il reste extrêmement rare que le monde politique désavoue un travail mené par des acteurs de terrain aussi crédibles que la police ou des associations de prévention. En off, une partie de ces derniers évoquent «une trouille politique qui nuit à la prévention et qui se doit d’être décomplexée afin de diminuer concrètement les cas».

Un gros malaise

Lorsque l’on cuisine vraiment la Municipalité et les acteurs du dossier, on comprend que tout le malaise se situe sur l’idée de donner des conseils aux femmes pour éviter le viol. En clair, de leur demander de se comporter différemment afin d’éviter une situation dramatique. Un point que l’opinion publique a beaucoup reproché aux politiciens qui se sont autorisés à donner des conseils vestimentaires pour éviter d’être harcelées, par exemple. «Les politiciens, particulièrement les hommes de droite, se mettent à tout confondre, car ils ne s’intéressent pas profondément au sujet de la culture du viol. Ils ont l’impression qu’ils ne peuvent plus rien dire sur le sujet sans risquer de se faire clouer au pilori. Du coup, il y a un terrible malaise et cela occasionne des situations aussi ridicules que l’interdiction d’une campagne de prévention qui aurait évité que des jeunes filles lausannoises se fassent violer. Ça devient dramatique», fulmine au téléphone l’une des expertes d’une association de prévention.

Enfin, contacté par nos soins, Jérôme Piguet, le co-réalisateur du clip surenchérit: «Ce qui nous peine le plus n’est pas tant les deux années et demi à travailler dans le vide mais bien le fait que dort sur nos disques durs un film qui pourrait changer quelques destins.»

En 2016, selon l’OFS, 240 infractions contre l’intégrité sexuelle ont été enregistrées pour Lausanne. Un chiffre que l’on sait bien plus bas que la réalité, tant les dénonciations se font encore difficilement.