«L’adhésion à des valeurs communes est indispensable»

NATURALISATION • Alors que la Municipalité vient de refuser le passeport suisse à un couple d’étrangers pour «bigoterie», le politologue lausannois René Knüsel revient sur les exigences de notre nouveau rapport à l’Etranger.

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Comment expliquez-vous le durcissement observé ces 20 dernières années autour des questions de naturalisation et de citoyenneté?

Plus qu’un durcissement, il s’agit d’une clarification des exigences et d’un affinement des critères. La raison principale est à rechercher d’abord dans les formes d’altérité auxquelles les sociétés développées doivent faire face. L’Autre se présente avec des caractéristiques qui rend son accès moins aisé. Je m’identifie moins facilement à lui en raison de différences plus marquées et plus compliquées à comprendre, surtout lorsque les pratiques culturelles sont en cause. La figure de l’étranger est de moins en moins homogène. Cette confrontation complexe renvoie à sa propre identité.

Ville de gauche, Lausanne vient de refuser la bourgeoisie communale et de fait la citoyenneté, à un couple de candidats pour refus de l’égalité hommes-femmes, et a rendu sa décision publique.

Je ne sais pas si l’information publique a été voulue ou contrainte. Il est par ailleurs difficile de savoir ce qui a été décisif dans ce choix politique. Il me semble plutôt qu’il s’agit de composer avec la recomposition des exigences de ce qu’est l’intégration, notion subjective et évolutive.

Naturaliser des étrangers qui ne partageraient pas les valeurs communes n’impliquerait-il pas un risque pour la coexistence pacifique de l’ensemble de la société ?

Cette question n’est pas nouvelle. Elle est au cœur d’une tension entre deux pôles: l’assimilation qui veut que l’Etranger nous soit semblable pour être accepté et l’inclusion qui tend à l’accepter et à valoriser au mieux ses différences. Vivre ensemble implique un respect de l’Autre et de sa différence, attitude qui doit être réciproque. Celui qui vient du dehors doit accepter le fonctionnement de la communauté dans laquelle il souhaite entrer. Dans le prolongement de cette idée, la naturalisation est devenu un outil d’attestation de cet état d’esprit.

Selon vous, l’intégration implique-t-elle que l’on renonce à ses croyances religieuses?

Qu’est-ce qui est au fondement de nos sociétés? C’est un débat qui est rarement posé en ces termes. Les libertés fondamentales sont garanties constitutionnellement. La liberté de croyance signifie que la communauté n’impose pas une forme d’adhésion à un culte, qui serait liée un territoire donné, comme cela a été longtemps le cas en Europe et qui existe ailleurs dans le monde. La liberté de conscience signifie le respect de celle de l’Autre, dont j’attends une attitude similaire à mon égard. La naturalisation ne peut donc impliquer le renoncement à ses croyances religieuses.

Au fond, est-il réellement possible de définir des valeurs communes à une société, par définition évolutives dans le temps et toujours l’expression d’une majorité ?

Oui, la définition et l’adhésion à des valeurs communes sont indispensables à une société. Un des problèmes actuels réside dans l’absence de débat transparent à ce propos. Qu’est-ce qui doit être commun entre nous pour que le vivre ensemble soit possible, agréable et enrichissant? La communication entre les individus (pas uniquement la langue) et le respect de l’Autre sont parmi les valeurs essentielles, mais leur contenu évolue. Propos recueillis par Charaf Abdessemed