A Lausanne, la prostitution de rue poursuit sa lente agonie

SOCIÉTÉ • Voici un an et demi était mise en place la zone de prostitution restreinte. Depuis, le nombre de prostituées de rue a chuté de 30 à 40% à Lausanne. Les associations qui les défendent déplorent la détérioration des conditions de travail.

  • Il y a de moins en moins de prostitution de rue à Lausanne. DR

    Il y a de moins en moins de prostitution de rue à Lausanne. DR

«Dans dix ans, il est possible qu’il n’y ait presque plus de prostitution de rue à Lausanne.» Le pronostique est du Municipal lausannois Pierre-Antoine Hildbrand. Ce mouvement semble déjà enclenché dans les rues concernées de Sévelin-Sébeillon. Depuis la mise en place, le 15 avril 2018, d’une zone restreinte de prostitution, les «travailleuses du sexe» ne pouvaient plus racoler que sur 700 des 1700m de trottoir qui leur étaient jusque-là réservés chaque nuit de 22h à 5h. Cette décision municipale, consécutive à des plaintes à répétition des riverains, visait à réduire les nuisances sonores, à enrayer le bal des automobilistes-voyeurs et à soustraire les prostituées aux regards des passants.

Après une première courte phase de tensions, les insultes et les menaces entre «péripatéticiennes» de différents groupes ethniques se sont tues au fur et à mesure que leur nombre chutait. «Elles sont aujourd’hui une cinquantaine dont une grosse majorité d’Africaines de l’Ouest et une forte représentation de femmes de l’Est. Cela représente 30 à 40% de baisse par rapport à l’avant 15 avril 2018», estime Sandrine Devillers. La directrice adjointe de Fleur de Pavé, association d’aide aux travailleuses du sexe, explique que ces dernières déplorent une baisse du nombre de clients.

Une prostitution «low-cost»

La brigade des mœurs confirme la baisse du nombre de prostituées. «Cette diminution est constatée dans la plupart des villes suisses dans lesquelles il y a de la prostitution de rue», rappelle Sébastien Jost, porte-parole de la police lausannoise. Cet état de fait n’est pas sans lien avec une chute des tarifs pratiqués. A Sévelin-Sébeillon, une passe peut se négocier 30 francs contre 100 francs voici cinq ans!

«Avec la concentration de la prostitution dans les rues transversales mal éclairées, les clients d’opportunité ont disparu et les ’’travailleuses du sexe’’ se voient proposer une prostitution dévaluée aux autres dans de mauvaises conditions d’hygiène, de sécurité et de travail en général», déplore Sandrine Devillers. Depuis l’évacuation en 2014 de l’insalubre immeuble du 85 rue de Genève où nombre d’entre elles officiaient, les prostituées enchainent les passes dans leur véhicule ou carrément dans la rue. «Les premiers temps, il y a eu plusieurs cas d’agressions et de violences», se souvient d’ailleurs Sandrine Devillers.

Bientôt des WC

Quelques mesures viennent un peu éclairer ce sombre tableau comme l’interdiction de stationnement à Sébeillon des camions qui obligeaient les prostituées à mordre imprudemment sur la chaussée pour être vues. Quant aux WC réclamés de longue date, ils devraient être installés bientôt puisqu’un permis de construire a été délivré.

Pour Pierre-Antoine Hildbrand, la baisse du nombre de prostituées de rue doit plus au déplacement du racolage sur internet et vers les salons qu’à la mise en place de la zone restreinte. «Zurich a proportionnellement le même nombre de mètres consacrés à la prostitution que nous», rappelle aussi l’élu PLR. En avril prochain, un bilan complet sur les conséquences de la mise en place de la zone de prostitution sera rendu publique par la Municipalité.

Une révision qui pourrait faire mal

La révision de la Loi sur l’exercice de la prostitution, en cours depuis mardi passé 17 septembre au Grand Conseil vaudois, pourrait sonner le glas de la prostitution de rue. En effet, s’inspirant des autres cantons suisses, Vaud s’apprête à adopter l’obligation de s’annoncer pour les travailleuses du sexe. Cette mesure pourrait bien faire fuir l’écrasante majorité des 60 à 70% de prostituées africaines s’offrant dans les rues lausannoises et qui sont en situation irrégulière.

L’arbre qui cache la forêt, l'éditorial de Philippe Kottelat

On dit souvent que la prostitution est le «plus vieux métier du monde». Autrement dit qu’elle est une réalité universelle, atemporelle, courante, sinon normale. Une fatalité inhérente à l’homme et qu’il est vain de lutter contre.

De nombreux pays s’y sont pourtant essayés. Sans succès. C’est pourquoi, notamment en Europe, la prostitution ne constitue plus aujourd’hui une infraction pénale. Elle s’apparente à l’usage d’une liberté privée et, à ce titre, elle relève de la morale et non pas du droit. Par contre, la réprobation sociale s’abat sur ceux qui la favorisent. Divers prolongements de cette pratique sont ainsi susceptibles d’être réprimés par le Code pénal.

A Lausanne, la prostitution existe toujours. Mais, depuis un et demi environ, les règles en la matière ont changé. Les prostituées ne sont plus autorisées à arpenter ce qui était leur lieu de prédilection, la fameuse rue de Genève. En cause, le quartier de Sévelin qui poursuit sa mutation et ne cesse d’accueillir de nouveaux habitants, la cohabitation entre les riverains et les différents acteurs du secteur posant problème.

Située au cœur du quartier, la seule zone de prostitution réglementée de la ville a donc été repensée et restreinte. Résultat: la prostitution a drastiquement diminué et pourrait même totalement disparaître (lire en page 5). L’arbre qui cache la forêt? Sans aucun doute, car elle s’est déplacée dans des rues transversales, voire dans des appartements de fortune, la plongeant ainsi dans une forme de clandestinité qui fait resurgir d’autres problèmes récurrents, notamment en termes sécuritaires et de santé publique. De l’art malheureux de revenir à la case départ...