Lausanne: quand le budget participatif divise

QUARTIERS • Dans le cadre de son «budget participatif», dix-neuf projets présentés ont été retenus par la Ville. Les habitants peuvent voter pour leurs préférés jusqu’au 13 octobre. Mais le concept proposé est loin de convaincre tout le monde.

Un OVNI dans le ciel lausannois: voici comment on pourrait décrire le budget participatif développé par la Ville de Lausanne, qui en est actuellement à sa phase de vote. Entre «pseudo-budget participatif», «comète bizarroïde», «poudre de perlimpinpin», «outil marketing» ou «argument électoraliste», les élus de tous bords se montrent plutôt critiques sur le concept proposé par le municipal David Payot suite à des demandes de longue date visant à l’établissement d’un tel budget. Le conseiller communal socialiste Benoît Gaillard résume bien pourquoi: «Derrière ce terme, les gens mettent des concepts très divers. De plus, même lors de nos discussions en plénum, le Conseil communal n’a jamais donné une vision unitaire de cette notion.Il reste conceptuellement assez flou.»

Une idée dénaturée

Pour les postulants Fabrice Moscheni (UDC) et Guy Gaudard (PLR), à l’origine de la demande pour un budget participatif en 2017, la réponse donnée par la Municipalité «dénature totalement la vision originelle de l’idée».

Le budget (100’000 francs, même s’il est amené à augmenter durant ces deux prochaines années), est jugé totalement insuffisant. «On dirait que les autorités n’ont aucune confiance dans l’avis des Lausannois, regrette Fabrice Moscheni. L’idée était que les habitants puissent s’exprimer sur des vrais choix de société, leur demander leur avis sur des sujets stratégiques, et les impliquer dans les décisions concernant l’attribution d’une partie du budget.» Il est aussi reproché à ce budget participatif de mettre en concurrence des projets associatifs tout en permettant à la collectivité publique de s’afficher en soutien à des projets locaux, et même de les «récupérer».

Le concept est aussi critiqué par les Verts même s’il est vu comme «une première étape encourageante», relaie Ilias Panchard, co-président du groupe des Verts au Conseil communal. «Mais un budget participatif, comme son nom l’indique, devrait être pris sur le budget de la Ville. En l’état, il s’agit plutôt d’un soutien financier à des projets d’habitants. Il faudra voir, à l’aide d’une consultation des quartiers, comment améliorer cette démarche, s’assurer qu’elle soit accessible à chacun et envisager son développement pour qu’elle améliore réellement la participation aux affaires de la Cité».

Egalité des chances

Les inégalités engendrées par cet outil, malgré son objectif qui consiste à faciliter le dépôt de projets citoyens, sont également évoquées. «Nous sommes dans une forme de participation où seules des personnes qui sont prises au jeu participent, relève Latha Heiniger, ancienne conseillère communale socialiste. Pour elle, les inégalités commencent déjà au moment de la formulation d’un projet. «Cela nécessite du temps et des compétences. Il peut donc déjà apparaître des inégalités entre les individus en fonction de leur niveau socio-économique et socio-culturel. Les personnes parlant mal le français ou à bas revenus ne se sentent pas vraiment concernés par ce genre de démarche. Il en faut beaucoup plus pour les rendre participatifs.»

La question est là: atteindre les couches de la société qui sont moins familières à ce genre de programme est-il le but recherché? «Ce budget est une réponse à un problème qui n’est pas clairement défini, selon Benoît Gaillard. Mais il s’agit d’un projet pilote et il faut laisser à la Municipalité le mérite d’avoir tenté quelque chose et d’avoir fait émerger des propositions intéressantes. Il faudra déterminer ensuite quelle plus-value cela a apporté et agir en conséquence.»

Un budget participatif sous pression, l'éditorial de Philippe Kottelat

Aujourd’hui, ici en Suisse, et tout particulièrement à Lausanne, mais aussi ailleurs en Europe, quasiment plus aucun projet public conséquent ne peut être réalisé sans que ne soit brandie la nécessité d’une concertation citoyenne. Les élus politiques de tous bords - ou presque - n’ont plus qu’un seul mot à la bouche: celui de «démarche participative».

Signe des temps! Pour répondre au désenchantement démocratique et aux critiques toujours plus acerbes dont ils sont les victimes - souvent à tort du reste - ils se sont imposé l’impératif délibératif qui consiste à ouvrir les lieux de pouvoir au dialogue et à la délibération, tant politique que social.

Panacée, poudre aux yeux, voire vaste hypocrisie? Les avis divergent. Mais une chose est sûre: même si les démarches participatives augmentent les chances d’arriver à un bon consensus, elles peuvent aussi se revéler infructueuses. Ou du moins être contestées, parfois même par les milieux qui semblent en être les plus friands.

Dernier exemple en date (lire en page 7), celui qui touche le premier budget participatif communal lausannois. Jusqu’au 13 octobre, 19 projets concourent pour décrocher une fraction d’une manne de 100’000 francs destinée à subventionner des projets de quartier émanant des habitants. A priori une bonne idée. Mais voilà! De nombreuses voix, même au sein de la majorité communale, s’élèvent aujourd’hui pour dénoncer une démarche alibi, un concept flou, voire même une tentative de récupération politique. Jugements sévères? Sans doute. Reste que l’exercice semble bien mal emmanché et qu’il conviendra au minimum de revoir la méthode si l’idée entend être poursuivie avec succès ces prochaines années.