«Le thème de la corruption politique reste un tabou!»

AFFAIRES • Voyages offerts, campagnes politiques soutenues financièrement par un milliardaire ou encore frais professionnels disproportionnés: des élus sont aujourd’hui sur la sellette.Comment en est-on arrivé là? Tentative d’explication avec Oscar Mazzolini, professeur de science politique à l’Université de Lausanne.

Lausanne Cités: Les comportements des politiciens a-t-il changé au cours des dernières décennies en termes d’usage des deniers publics et de perception d’avantages, ou bien est-ce la population qui fait désormais preuve de plus d’exigence de transparence?

Oscar Mazzolini: Ce qui a changé est surtout que la politique suisse est de plus en plus professionnalisée et rémunérée. Autrefois, la plupart des mandats – communaux, cantonaux, fédéraux - ne prévoyaient pas d’indemnités ou d’autres formes de revenu payées par les collectivités publiques. En raison de cela, aujourd’hui, il y a plus de règles concernant pour l’exercice de ces mandats, y compris concernant les sources, l’usage et le cumul des financements. Les attentes envers la transparence tiennent d’abord à ces règles et aux sanctions qui leur sont attachées.

C’est alors uniquement pour cette raison que la population est aujourd’hui si exigeante en termes de transparence et de comportement des politiciens ?

Non. Il faut considérer au moins trois autres facteurs, qui s’alimentent entre-deux: une certaine méfiance de fonds envers la politique d’une partie de la population (mue notamment par l’idée que les politiciens feraient d’abord leur intérêt), le rôle accru des médias (qui misent beaucoup sur l’exigence de transparence) et le fait que les partis politiques, et notamment les partis d’opposition, peuvent en faire un thème de campagne. Tous ces aspects favorisent l’importance publique croissante des questions de probité publique rattachée aux fonctions politiques.

Selon vous les politiciens font-ils preuve de légèreté, d’un sentiment d’impunité ou encore d’une incapacité à entrevoir les exigences publiques en termes de transparence?

D’une part, la politique suisse tend certainement à sous-estimer, voire à ne pas considérer, les effets de ces comportements sur les perceptions que les citoyens ont envers les institutions politiques. Encore dans un passé pas lointain, par exemple, la confiance envers le Conseil fédéral était très élevée. Cependant, aujourd’hui, la tendance est plus incertaine. D’autre part, en Suisse les partis d’opposition – dont les représentants n’occupent pas de mandats politiques bien rémunérés - sont toujours relativement faibles; et cela contribue à réduire la réactivité politique envers ce genre d’attentes publiques.

Dans d’autres pays, ces mêmes élus auraient déjà démissionné. Comment expliquez-vous que ce ne soit pas le cas en Suisse?

Encore une fois, la faiblesse des oppositions, qui peuvent avoir une fonction de garde-fou, joue un rôle. Plus en général, le thème de la corruption politique reste un tabou en Suisse, y compris parce qu’on assume que dans notre pays ces comportements restent l’exception et ne remettent pas en question le bon fonctionnement des institutions. En même temps, il faut ajouter que la tendance à tolérer certains comportements n’est pas propre à la Suisse.

Face à la multiplication de ces cas, faut-il que les divers pouvoirs publics établissent des règles claires en matière d’avantages ou d de voyages?

Certaines règles existent déjà. Sinon les juges ne pourraient pas intervenir, comme ils ont fait ces derniers temps. La tendance actuelle reste de croire que les règles existantes suffissent et que toute évolution éventuelle devrait être graduelle.