Levée de boucliers contre la piétonnisation de la Cité

MOBILITE • En test jusqu’au 17 décembre prochain, la piétonnisation du cœur de la Cité exaspère de nombreux habitants du quartier. Découragés et indignés, ils exigent un réexamen des mesures à l’essai. La Ville s’y oppose.

  • La colère des riverains s’affiche désormais sur les balcons. PHOTOS VERISSIMO

    La colère des riverains s’affiche désormais sur les balcons. PHOTOS VERISSIMO

Après avoir tenté, en vain, de dialoguer avec la Ville, les opposants à la piétonnisation du quartier de la Cité passent à la vitesse supérieure. Dans une lettre ouverte adressée à Florence Germond, municipale en charge des finances et de la mobilité, ils font état de leur colère, mais aussi de leur incompréhension. Avec le sentiment d’être totalement ignorés par la Municipalité: «Nous avons pris la peine, à plusieurs reprises, d’écrire à Florence Germond pour exprimer nos ressentis, nos suggestions, nos observations, nos craintes et nos doléances, confie Adelheid Oesch, l’une des opposantes qui habite le quartier depuis 58 ans. Les réponses à nos courriers sont restées évasives, biaisées et lénifiantes. La rencontre publique initialement prévue n’a jamais eu lieu et aucune consultation des habitants n’est envisagée.»

Une vie dans un ghetto

Un problème de méthode donc, mais pas seulement. Depuis le mois d’août 2020, la suppression des places de parc, sauf celles situées à la place du Château, et l’interdiction générale de circuler ont chamboulé certaines habitudes: «J’habite ce quartier depuis un demi-siècle, rappelle Jacqueline Augsburger. Depuis cette piétonnisation, j’ai l’impression de vivre dans un ghetto. Nos amis et nos familles ne peuvent plus venir nous voir, car il n’y a aucun transport public qui rejoint la Cité. La Ville m’a dit que mes invités n’ont qu’à se parquer à Ouchy et ensuite venir à vélo, c’est délirant! On vit en plein totalitarisme! Je vais me battre jusqu’au bout car la situation est grave.»

Avant, des ruelles vivantes

Après avoir vécu 51 ans à la Cité, Jean-Yves Pétiot dispose également du recul nécessaire pour analyser l’évolution du quartier. Musicien de métier, il regrette surtout de ne plus pouvoir acheminer correctement ses instruments, souvent lourds, jusqu’à son domicile. Avec une certaine émotion dans la voix, il se souvient aussi qu’à une époque, les ruelles étaient vraiment animées: «Être enfermé dans une cage me rend triste, cet espace au cœur de Lausanne mérite mieux. Avant, les gens se baladaient, riaient et se rencontraient. Alors qu’aujourd’hui s’il y a un piéton par heure, c’est un record.» Conséquence de cette désertion, les commerçants font grise mine. C’est le cas de Marc Lehmann, un spécialiste du livre ancien dont la librairie éponyme est installée à la rue Cité-Derrière: «J’ai une clientèle d’un certain âge qui ne peut pas se balader en vélo électrique comme le souhaiterait Florence Germond. Depuis la piétonnisation, ils ne viennent tout simplement plus donc je leur envoie les livres par la poste. Mais cela m’attriste, car c’est le contact humain qui me plaît le plus dans mon métier. Je suis un vieux briscard, j’ai vécu de belles années ici, mais ce qui m’inquiète c’est qu’aucun jeune ne souhaite installer son commerce à la Cité et c’est logique, car il n’y a pas un chat!»

A l’abri du client

A la rue de l’Académie, Yves Gindrat, le propriétaire de la librairie «Oh 7ème ciel», n’est pas plus optimiste. Au fil des années, il a vu sa clientèle se raréfier. La piétonnisation n’aura été qu’un coup de massue définitif. «Un ami parisien est venu me visiter et il m’a dit: «Tu dois être sacrément bien ici, à l’abri du client.» Même si cela m’a fait rire, je peux vous assurer que j’en ai gros sur le cœur. Les décisions politiques sont prises sans concertation et la Municipalité ignore tout de nos préoccupations de commerçants.» La municipale Florence Germond rétorque pour sa part qu’une enquête de satisfaction a été menée et que 20% des répondants émettent un avis négatif en ce qui concerne la pérennisation de la piétonnisation du quartier. Elle précise également que l’accès riverain y est autorisé en tout temps. Quant aux personnes handicapées et aux proches aidants, ils peuvent obtenir un macaron afin de circuler et stationner dans les zones piétonnes. Avant de conclure: «La piétonnisation de la Cité devrait être pérennisée au début de l’année 2022.»