Toxicomanie: l’Espace de consommation sécurisé tient-il ses promesses?

Ouvert en 2018, l’Espace de consommation sécurisé du Vallon était censé, entre autres objectifs, «délester» la Riponne de ses drogués.
Ceux-ci continuent pourtant à occuper la place et en particulier ses toilettes publiques quasi «monopolisées».
La Ville affirme agir à plusieurs niveaux tout en cherchant de nouvelles solutions.

  • Réorienter les usagers de drogue (ici sur la place de la Riponne) vers l’Espace de consommation sécurisé du Vallon: un défi difficile. VERISSIMO

    Réorienter les usagers de drogue (ici sur la place de la Riponne) vers l’Espace de consommation sécurisé du Vallon: un défi difficile. VERISSIMO

«Les services concernés rappellent aux usagers l’interdiction de consommer dans les toilettes publiques et les orientent vers les structures d’aide »

Aline Bernhardt Keller, responsable du dispositif addictions à la Ville

«Franchement, ils sont chez eux. Ils squattent les toilettes en permanence au détriment des usagers. La dernière fois, j’ai attendu 20 minutes qu’ils les libèrent, avant de me résoudre à partir, de guerre lasse». De longue date, repaire des toxicomanes, la Place de la Riponne n’en a donc pas fini avec ses démons. Leur présence continue à l’intérieur des WC publics - à des fins d’injection- a en outre été confirmée et attestée par de nombreux passants, mais aussi par les commerçants avoisinants qui déplorent de longue date une présence «dénaturant la place»: «On pensait le problème réglé, mais il persiste, témoigne l’un d’entre eux. Certes, les toxicomanes sont moins visibles, mais ils sont toujours bel et bien là, en particulier dans les toilettes publiques.»

En ouvrant il y a deux ans, au chemin du Vallon, un Espace de consommation sécurisé (ECS), géré par la fondation ABS, la Ville espérait limiter, voire supprimer la présence des toxicomanes à la Riponne. Ouvert sept jours sur sept, de 12 heures à 19 heures, composé d’un espace d’accueil et de deux salles de quatre places, l’une pour l’injection et l’autre pour l’inhalation, l’ECS comprend également un emplacement pour le sniff et un local dédié aux soins.

A l’époque, le Municipal Oscar Tosato, en charge des sports et de la cohésion sociale y voyait «une pièce importante pour compléter le dispositif existant, diminuer les risques pour les consommateurs les plus précarisés et réduire les nuisances pour l’ensemble de la population lausannoise».

Action «à plusieurs niveaux»

Interpellée, la Ville affirme ne pas rester inactive: «Nous agissons à trois niveaux explique Aline Bernhardt Keller, responsable du Dispositif addictions à la Ville. En premier lieu, la ville procède au nettoyage des WC huit fois dans la journée. Une association de pairs intervient, de son côté, tôt le matin du lundi au samedi, pour ramasser les déchets liés à la consommation de drogues avec les usagers présents.» Et d’ajouter: «Enfin, plusieurs institutions soutenues financièrement par la Ville et ses services font un important travail de sensibilisation afin que ces lieux d’aisance soient utilisés correctement. Ils rappellent aux usagers l’interdiction de consommer dans les toilettes publiques et les orientent vers les structures d’aide, en particulier l’Espace de consommation sécurisé».

A l’été 2019, afin de favoriser ce report, les toilettes ont même été fermées pendant les heures d’ouverture de l’Espace de consommation sécurisé et les correspondants de nuits mandatés en journée pour intervenir auprès des toxicomanes et les inciter à se rendre à l’ECS. Toujours est-il que toutes les démarches entreprises ne parviennent toujours pas à «normaliser» la situation, la Riponne demeurant visiblement un repère incontournable pour les toxicomanes. En mai dernier, un rapport d’évaluation sur l’ECS de Lausanne (voir encadré), pointait en effet du doigt la difficulté de l’exercice: «En 2019, en Suisse, il ne suffit apparemment plus d’ouvrir un ECS pour que les usager/ères s’y rendent en masse, peut-on y lire dans sa page 88. Ils /elles ont besoin d’y trouver une plus-value par rapport à leur quotidien. Il faut sans doute aussi aller à la rencontre des usager/ères les plus désinséré/es, qui consomment notamment dans les WC et l’espace public pour les informer et mettre à mal certaines croyances et préjugés qui les empêchent de se rendre à l’ECS».

Autres réponses possibles?

De fait, le Service social est donc toujours à la recherche d’autres réponses possibles à cette problématique, notamment «en s’inspirant des dispositifs mis en place dans d’autres villes suisses», en partant du principe que la situation est donc loin d’être aisée. «Pour de nombreuses personnes précarisées en effet, la place de la Riponne représente un lieu de socialisation important. Sa disparition sans une solution alternative aurait indéniablement des conséquences en termes de santé publique et de sécurité», tient à avertir Aline Bernhardt Keller, responsable du Dispositif addictions au service social de la Ville.

Objectifs remplis, selon un rapport d'évaluation indépendant

Dix-huit mois après l’ouverture de l’Espace de consommation sécurisé (ECS), Unisanté a rendu public en mai dernier un rapport d’évaluation intermédiaire et indépendant sur ce projet pilote, confirmant la pertinence d’un tel espace à Lausanne. A cette date, l’ECS avait accueilli près de 600 consommateurs différents et avait permis plus de 16’500 actes de consommation, sans péjorer la qualité de vie du quartier. «Offrir des conditions de consommation qui satisfont des critères d’hygiène et de sécurité, encadrées par des professionnels pouvant offrir une aide, transmettre des messages de réduction des risques et intervenir en cas de besoin, ces objectifs sont remplis par l’ECS de Lausanne», avaient conclu les trois auteures d’Unisanté.