Une entreprise suspecte sur le chantier du LEB

POLEMIQUE • Active sur le tunnel du LEB, une entreprise italienne est dans le viseur de la justice tessinoise et du syndicat UNIA en Suisse pour infractions à la loi sur le travail. Elle est également sous enquête en Italie pour soupçons de collusion avec la mafia calabraise.

  • © Valdemar VERISSIMO

    © Valdemar VERISSIMO

Une question orale au Grand Conseil, déposée début mai 2019, aurait dû alerter les autorités vaudoises et les maîtres d’ouvrage du futur tunnel du LEB. Les députés Jean Tschopp, alors juriste auprès du syndicat UNIA, et Georges Zünd, directeur de la Fédération vaudoise des entrepreneurs (FVE), cosignataires du texte, rappelaient qu’une entreprise italienne avait eu maille à partir avec la justice tessinoise pour de graves cas de dumping salarial et de non-respect de la CCT. En clair, des cadences infernales et un «racket» des ouvriers sous forme de rétrocession d’une part de leurs salaires. Cela s’est produit en 2017 et 2018 au Tessin, sur le site du tunnel de base du Monte Ceneri (NLFA). Plusieurs ouvriers avaient dénoncé leurs conditions de travail à la branche tessinoise d’UNIA et témoigné d’un climat malsain. Deux reportages de nos confrères de la RSI et de la RTS achevaient de documenter ces agissements.

Entreprise tenue à l’œil

Les questions salariales et sociales étaient donc au centre des préoccupations des deux députés vaudois avant le début des travaux de «technique ferroviaire» qui venaient d’être adjugés à la filiale suisse de cette entreprise italienne aux pratiques apparemment douteuses. Contactés par nos soins, les TL, par la voix de leur porte-parole Martial Messeiller, affirment qu’aucun élément relatif aux faits reprochés à cette société «n’est apparu dans la procédure d’appel d’offres». Comme l’expliquent Jean Tschopp et Pietro Carobbio, secrétaire d’UNIA Vaud, les arguments qui prévalaient à ce moment étaient que «l’entreprise ne s’était rendue coupable d’aucune irrégularité, que le contrat était déjà signé et que la présomption d’innocence prévalait». Le Conseil d’Etat vaudois s’était réservé le droit de la sanctionner et de révoquer le contrat en cas de nouveaux éléments défavorables. Martial Messeiller précise que les TL avaient «mis en place des séances à intervalles réguliers avec les représentants de la Commission professionnelle paritaire de la construction Vaud (CPP VD), dans l’objectif d’informer sur l’avancement des travaux et les potentielles contraintes associées, mais également de s’assurer du respect, par les entreprises, de la législation suisse en vigueur en matière de protection des travailleurs. Le travail que le groupement a effectué est aujourd’hui terminé et il a été effectué dans le respect du droit.» Sans surprise, pourrait-on dire, puisque l’entreprise italienne a été tenue à l’œil du début à la fin du chantier.

Porte vers le réseau ferré

Secrétaire d’UNIA Tessin, Igor Cima connaît parfaitement le dossier et précise: «cette société voulait que le chantier du Monte Ceneri lui ouvre la porte de la maintenance du réseau ferré en Suisse», sa principale activité en Italie depuis des décennies. Opération réussie, puisque «le groupe est désormais actif dans la région de Bâle, dans le cadre d’un contrat d’entretien des voies de près de 20 millions de francs avec les CFF, attribué en 2016, donc avant que le scandale du Ceneri n’éclate», peut-on lire dans «Work», l’édition alémanique du magazine d’UNIA. La présomption d’innocence a bon dos, surtout lorsqu’elle est brandie dans une affaire encore plus grave.

Laboratoire des magouilles

En effet, l’entreprise a été prise la main dans les collusions avec la ‘ndrangheta par le Parquet de Milan. En février 2022, plusieurs médias suisses et italiens se sont fait l’écho des accusations portées contre 35 personnes, dont les deux frères à la tête de la société, l’un des deux étant également président du conseil d’administration de la filiale suisse de l’entreprise à Bellinzona: «participation à une association de malfaiteurs active entre Varèse et Milan» et entretien «de liens solides et durables avec la ‘ndrangheta». Du Tessin, «laboratoire des magouilles», selon un connaisseur du secteur, aux cantons de Vaud et Bâle, le groupe transalpin et ses encombrantes relations ont manifestement réussi leur entrée sur le marché suisse. Pas de quoi effrayer les CFF, rapporte «Work», car même après les dernières accusations portées contre cette société, CFF SA s’en tiendra au contrat.

* Vivant entre la Suisse et l’Italie, Madeleine Rossi a publié en 2021 le livre «La mafia en Suisse».