«Une majorité politique écrasante n’est pas inédite en Suisse!»

ÉLECTIONS • A Lausanne, le 2e tour des élections municipales a vu la coalition rose-verte remporter une nouvelle fois 6 sièges sur 7 à la Municipalité. Une constante depuis 2006, mais pas une situation inédite en Suisse. L’analyse du politologue René Knüsel.

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Lausanne Cités: Depuis 2006, à Lausanne l’alliance de gauche monopolise le pouvoir. Quels sont les éléments sociologiques qui expliquent cette réalité lausannoise?
René Knüsel: La situation lausannoise n’est pas inédite en Suisse. En ville de Zurich, une majorité de gauche est également au pouvoir depuis de nombreux lustres, et plus précisément depuis 1990. Au plan sociologique, Lausanne est conforme aux autres centres urbains. Après avoir perdu des habitants durant de nombreuses années, la ville en a regagné, attirés par les avantages des services de proximité des centres urbains, d’une vie culturelle foisonnante, d’une offre importante de transports publics. Mais tout cela existe dans l’ensemble des centres urbains.

Mais il y aussi une stratégie et une discipline de bloc qui a été mise en place. Un jeu des alliances qui permet de faire front quels que soient les candidats proposés...
La coalition au pouvoir peut donner l’impression d’un front inamovible. La réalité est différente, puisque ses composants ont varié avec le temps. Sa force réside précisément dans sa capacité d’adaptation. Les Verts progressent, mais ils avaient perdu du terrain lors des élections précédentes, alors que les socialistes ont connu un mouvement inverse. La situation semble plus fragile pour le représentant POP. Mais ici aussi, l’alliance montre sa force en n’abandonnant pas un partenaire qui a contribué à sa réussite passée. Les électeurs ne sont ainsi pas déroutés par des changements dans les alliances qui ont caractérisé celles des partis bourgeois, par exemple.

Sans exagérer sur les mots, ni se tromper de contexte, on a quand même le sentiment d’une approche sinon très soviétique du pouvoir, en tous cas pas très saine…
Pour les partis qui sont hors de cette coalition majoritaire au pouvoir, il peut y avoir du découragement. Si les majorités ne concordaient pas entre le législatif et l’exécutif, l’impression d’un dysfonctionnement pourrait s’imposer. Mais il faut relever que la majorité plurielle au Conseil communal a certes varié, mais a toujours été claire. En 2021, les résultats au législatif sont décevants pour l’ensemble des partis bourgeois qui stagnent comme le PLR ou le centre, ou reculent nettement comme l’UDC. Au final, l’équilibre a encore plus penché sur la gauche. La représentativité de la Municipalité n’est par contre pas complète, puisque les partis bourgeois, dans leur ensemble, pourraient proportionnellement prétendre à un second siège. Mais 2 sièges PLR ne seraient pas une formule équitable, et ni l’UDC ni les Verts libéraux ne pouvaient prétendre à un siège. Dans la configuration actuelle, ce sont les socialistes qui sont surreprésentés.

Ne faudrait-il dès lors pas modifier le mode de scrutin pour assurer une meilleure représentativité, donc un meilleur fonctionnement démocratique?
L’élection de l’exécutif à la représentation proportionnelle constitue une alternative au système majoritaire actuel. Le résultat à Lausanne aurait pu être plus représentatif avec deux représentants bourgeois. Tout cela serait toutefois tributaire de la possibilité ou non d’apparentements, de la méthode de calcul des restes qui déterminent les sièges sensibles. Mais le système proportionnel empêche les grandes variations dans la représentation et nécessite aussi la recherche de majorités au sein d’un exécutif. Bref, les résultats auraient peut-être quelque peu variés, mais la gauche dominerait encore largement la Municipalité.

Cette nouvelle majorité a été élue par une minorité, soit 27% du corps électoral. Une réalité helvétique ou une sorte de ras-le-bol de la part d’une partie de l’électorat face à l’impossibilité de changer les choses?
La question est récurrente. En Suisse, seule une minorité du corps électoral donne habituellement son avis, en particulier lors des élections. Il est difficile d’expliquer les raisons individuelles de chaque personne. En règle générale, les travaux scientifiques, menés sur la question, insistent plutôt sur le fait que les abstentionnistes ont surtout tendance à se déclarer incompétents, à savoir qu’ils peinent à percevoir les enjeux sur lesquels ils doivent se prononcer. Etre un citoyen informé et en mesure de se prononcer demande un investissement important en énergie et en temps. Les questions posées sont parfois complexes et les mécanismes en place sont parfois compliqués à comprendre. La formation à la culture politique est insuffisante. Par ailleurs, les moyens mis à sa disposition du citoyen pour être un électeur averti sont trop limités.