Lonny Price: “West Side Story est une histoire d’amour et une critique du rêve américain”

Après 31 ans d’attente, la comédie musicale mythique  « West Side Story » pose ses valises en Suisse Romande dans une splendide version chorégraphiée par Jerome Robbins et ce jusqu'au 5 mars prochain. Le metteur en scène new-yorkais Lonny Price a réuni une équipe créative internationale pour signer cette nouvelle version. Entretien en liaison directe Broadway-Lausanne.

  • Crédit photo Johan Persson

Lausanne Cités : Presque tout le monde a oublié que « West Side Story » était d'abord une comédie musicale jouée à Broadway avant d'être l'un des plus grands films de tous les temps, sorti en 1961, qui a eu droit à son remake signé Steven Spielberg en 2021… Comment expliquez-vous l'intemporalité du spectacle ?

Lonny Price : « West Side Story » a une histoire intemporelle, évidemment basée sur « Roméo et Juliette » de Shakespeare, et sans doute les plus merveilleuses chansons, musiques et paroles de l'histoire de la comédie musicale. Ajoutez à cela la chorégraphie époustouflante de Jerome Robbins, et l'histoire, très émouvante, qui représente également notre époque, en particulier autour des questions du racisme, du communautarisme, et des difficultés d’intégration, et vous obtenez un spectacle qui reste toujours aussi moderne et splendide malgré son âge !

C’est le côté shakespearien de l’oeuvre qui la rend éternelle ?

Oui, les Jets et les Sharks de  « West Side Story » sont les Montaigu et les Capulet de « Roméo et Juliette », et des archétypes de nos sociétés. On a peur de se mélanger, on a peur de la différence, les origines sociales, ethniques, géographiques, créent des frontières qui semblent infranchissables. C’est aussi de cela dont parle le spectacle.

Comment vous êtes-vous personnellement impliqué dans cette nouvelle version ?

J’avais déjà beaucoup travaillé avec Stephen Sondheim, qui a signé le livret de  « West Side Story », mais jamais sur cette oeuvre. Alors quand ils m'ont demandé si j’étais intéressé par ce projet, j'ai sauté sur l'occasion. J'étais très excité à l'idée d'être impliqué dans l’adaptation et la tournée mondiale de ce chef d’oeuvre !

N'était-ce pas trop impressionnant de réinterpréter un tel monument ?

Oui, c'est intimidant d'aborder une oeuvre qui est tant aimée. Mais c’est aussi une immense source d'inspiration. Le matériau est si beau que vous devez vous élever, donner le meilleur de vous-même, être encore plus exigeant. Il y a un état de grâce. Le défi consiste à être juste dans chaque détail, la distribution, la mise en scène, les costumes, les décors, l’orchestration. Je pense que nous avons réussi car le spectacle continue d’éblouir le public après 65 ans d’existence.

La version européenne de la série est-elle différente de la version américaine ?

Mon défi était de faire voyager le spectacle dans le monde entier au plus près de sa version classique. Nous y sommes restés très fidèles. La seule chose que nous avons ajoutée, c'est l'idée que le rêve américain est une sorte de mythe. Le rêve américain dit que tout le monde est traité de manière égale, ce qui n'est pas vrai. On ouvre le spectacle avec la Statue de la Liberté coupée en deux. Et tout au long du spectacle, on voit des publicités représentant ce rêve américain, des familles blanches de la classe moyenne de l'après-guerre qui profitent des fruits du libéralisme. Les Sharks et les Jets sont incapables de participer à cela, les uns pour des raisons économiques, les autres à cause de leur couleur de peau. Le rêve est toujours devant vous, mais vous ne pouvez jamais vraiment l'avoir. C'est pour cela que j'ai essayé de faire en sorte qu'il y ait beaucoup de publicités pour des choses que ces gens ne pourront jamais atteindre. De cette frustration naîtra la violence.

Voulez-vous dire qu'en fait,  « West Side Story » a aussi un propos politique et n’est pas seulement une poignante histoire d'amour ?

C'est avant tout une histoire d'amour, mais bien sûr, il y a aussi un engagement politique. La classe ouvrière caucasienne méprise les immigrés portoricains, qui sont tombés dans le panneau du rêve américain.  « West Side Story » dénonce cela. C’est une critique du rêve américain. 

Comment avez-vous casté Maria et Tony pour cette nouvelle version ?

Eh bien, le casting a été l’une des parties les plus délicates de ce projet et nous avons dû voir des centaines de jeunes artistes tous très talentueux pour trouver ceux qui excellent en chant, danse et comédie. Tony et Maria ne doivent pas seulement ressembler à Tony et Maria, ils doivent extraordinairement bien chanter et danser. La bande des Jets et celle des Sharks aussi, car les chorégraphies de Jerome Robbins sont extraordinairement limpides mais très exigeantes. Trouver des personnes qui excellent dans tous ces domaines a été une gageure, mais je suis ravi du travail de Melanie Sierra et Jadon Webster qui sont magnifiques sur scène. En fait, je pense que toute la distribution est vraiment meilleure que ce que nous espérions. Nous avons eu beaucoup de chance.

Mes grands-parents adoraient  « West Side Story ». Mes parents adorent  « West Side Story ». J'adore  « West Side Story ». Comment embarquer aussi la nouvelle génération à la découverte de cette oeuvre sans qu'ils se disent que c'est un truc de vieux ?

C'est une histoire d'amour entre adolescents. Voilà ce que c'est. Il s'agit d'adolescents qui tombent amoureux, d’un amour interdit, et de gangs rivaux qui se battent pour garder leur territoire. C'est toujours autant d’actualité. Ce n’est pas une histoire d’adultes. C'est leur histoire.

 « West Side Story », au Théâtre de Beaulieu du 21 février au 5 mars 2023