«L’UNIL n’est pas l’antichambre des mouvements d’extrême gauche»

EDUCATION • Entré en fonction en août 2021, le recteur de l’Université de Lausanne (UNIL), Frédéric Herman répond aux différentes polémiques qui agitent le milieu académique. De la chaotique nomination de son homologue genevois aux épineuses questions de genre en passant par les actes de désobéissance civile perpétrés par une chercheuse.

  • Frédéric Herman a refusé que l’UNIL soutienne publiquement la désobéissance civile. MISSON-TILLE

    Frédéric Herman a refusé que l’UNIL soutienne publiquement la désobéissance civile. MISSON-TILLE

«Je ne juge pas ceux qui s’opposent aux diplômes non genrés»

Lausanne Cités: Toilettes inclusives, diplômes non genrés, professeure qui multiplie les actions de désobéissance civile avec le mouvement Renovate Switzerland, l’Université de Lausanne cherche-t-elle à servir les mouvements d’extrême gauche?

Frédéric Herman: Non, notre université n’est pas l’antichambre de ces mouvements. Sur ces questions, notre seul souci est de promouvoir le vivre ensemble. Il y a une politique d’égalité qui est développée depuis plusieurs années, déjà par les directions précédentes, des plans d’actions sont publiés et nous les mettons en œuvre.

Donc vous cautionnez tout?

La décision qui a été prise sous mon rectorat est celle des diplômes non genrés. Cette décision a été assez facile à prendre, nous ne sommes pas la première université à le faire, car il y a déjà tellement de documents officiels qui ne sont pas genrés (ndlr: il sort sa carte de crédit, son badge de l’UNIL et son permis de conduire pour le prouver).

La cheffe du Bureau de l’égalité de l’UNIL, Carine Carvalho Arruda, a récemment déclaré qu’obtenir un «diplôme non genré n’a pas beaucoup de portée pour le plus grand nombre», vous partagez également ce point de vue?

On se base sur notre plan d’action pour l’égalité. Dans ce cas-là, on a mené une série de consultations au sein des décanats des sept facultés et des associations d’étudiants. Il n’y a eu aucune opposition.

Dans le microcosme universitaire peut-être, mais au sein de la population, des critiques ont été formulées, vous parvenez à les entendre?

Je n’ai pas à juger les réserves ou les valeurs de ces personnes. Sauf erreur de ma part, lors de la dernière votation pour le mariage pour tous, 67% des électeurs suisses se sont montrés favorables.

C’est un autre sujet…

Non, cela concerne également une minorité de la population.

Autre cas qui a beaucoup fait parler l’automne dernier, celui de votre professeure Julia Steinberger qui a rejoint Renovate Switzerland et bloqué la circulation en se collant les mains au bitume. Cela a choqué de nombreux Lausannois, vous les comprenez?

Julia Steinberger a précisé sa démarche, elle travaille à 80% et elle utilise son temps libre pour s’adonner à ce genre de démarches militantes. Et elle ne le fait pas au nom de l’université. Si je l’avais fait, il y aurait eu un engagement institutionnel, c’est différent. Je tiens aussi à rappeler que si Julia Steinberger ne respecte pas la loi, ce n’est pas à nous de faire la police.

L’UNIL comme les autres universités dispose d’une liberté académique, et donc d’un droit à la critique, ce dernier inclut-il le droit à la désobéissance civile?

Récemment, le Conseil de l’Université m’a interpellé pour que je soutienne publiquement la désobéissance civile, ce que j’ai refusé. Reste que nous sommes très engagés en faveur de l’urgence climatique, en utilisant notamment les leviers de la connaissance et du débat.

Vous avez suivi la saga de la nomination du nouveau recteur de l’Université de Genève (UNIGE)?

Je préfère ne pas la commenter. Cela m’attriste un peu de voir ce qu’il s’y passe depuis quelques semaines.

L’idée de postuler à ce poste vous a-t-elle traversé l’esprit?

Je suis très bien à Lausanne et je ne suis en fonction que depuis le mois d’août 2021.

On a beaucoup parlé de la nationalité canadienne d’Eric Beauce, celui choisi par l’UNIGE puis écarté par le Conseil d’Etat genevois, or vous êtes né en Belgique. On peut être un bon recteur et venir d’un autre pays?

Avant moi, Léon Walras a été recteur de l’UNIL à la fin du 19e siècle et il était français. Donc c’est possible…

Mais cela reste une fonction compliquée, il faut diriger à l’interne, satisfaire les autorités politiques et on ne compte pas ses heures. Ce qui fait dire à certains que le salaire horaire d’un professeur est meilleur que celui d’un recteur…

(rires) C’est un job intense, cela tombe bien j’aime l’intensité. Et j’ai toujours trop travaillé, même avant de devenir recteur, donc cela ne me dérange pas de déborder les soirs de semaine ou le weekend. En outre, je me sens très soutenu par le Conseil d’Etat vaudois et le Grand Conseil.

Lors du dernier classement mondial des universités réalisé par Times Higher Education (THE), l’UNIL passait de la 176e à la 135e place, c’est une reconnaissance qui vous touche ou cela reste secondaire?

L’UNIL n’a jamais mené sa politique en fonction des classements. On garde donc une certaine distance même si une progression comme celle que vous mentionnez peut faire plaisir.

Cela peut aider à attirer des professeurs ou des étudiants internationaux, non?

Peut-être, ce qui est vrai, c’est que l’UNIL a une vocation internationale. Nous avons 120 nationalités différentes parmi les étudiants et les collaborateurs et nous recrutons des professeurs en provenance du monde entier.

Le campus de Dorigny va-t-il continuer à croître ces prochaines années?

Effectivement, il y aura beaucoup de nouveaux bâtiments sous mon mandat. Un nouveau bâtiment pour HEC, celui d’Unitec qui doublera de taille ou encore ceux dédiés aux sciences de la vie.

Lors de votre nomination, vous affirmiez que votre mandat vous permettrait de repenser le monde, où en êtes-vous dans votre réflexion?

(rires) C’est la chance d’un recteur que de pouvoir impulser une vision. Si les universités ne se donnent pas le droit de repenser le monde, c’est triste. Depuis le début de mon mandat, je suis passé de la crise du Covid à la guerre en Ukraine, cela donne à réfléchir…

Votre mandat de recteur se terminera le 31 juillet 2026, vous comptez rempiler?

C’est trop tôt pour y penser, mais, je le répète, je me sens bien dans ma fonction.