Marc Voltenauer, le polar et la manière

PORTRAIT - L’auteur de polars préféré des romands Marc Voltenauer organise la seconde édition du Festival Suisse du Polar, qui se tiendra à Granges, dans le Canton de Soleure, du 15 au 17 septembre. Il défend un style littéraire qu’il ne juge pas assez valorisé en Suisse. Entretien.

La Suède, Marc la connaît bien, puisque sa maman est originaire du pays. L’île de Goltand n’a plus aucun secret pour lui, et c’est d’ailleurs là qu’il a planté l'intrigue de «L’Aigle de Sang», polar à succès sorti en 2019, puis publié en édition de Poche en France l’année suivante. Les amateurs de librairies connaissent d’ailleurs aussi bien la Suède et ses voisins scandinaves pour leur art consommé du polar, depuis que les auteurs et autrices nordiques ont envahi les rayons du monde entier, à grandes vagues de succès.

ABBA, Krisprolls et meurtres en séries

Quand on lui demande si sa part suédoise est à l'origine de son talent d’auteur de polar (allez savoir, il y a peut-être un atavisme, une prédisposition, un gène !), Marc Voltenauer se fait pragmatique : «La Suède a très vite compris le potentiel touristique du genre. Les polars suédois sont réputés parce que la Suède en a volontairement fait une vitrine promotionnelle.» Et c’est vrai qu'hormis les noms imprononçables et les trémas qui poussent partout, le polar suédois, puis par extension scandinave, est savoureux : des paysages incroyables, faits de fjords, de lacs, de rives sauvages et de majestueuses montagnes, des villages improbables, des zones reculées qui offrent au lecteur un exotisme littéraire unique. Et puis le caractère des gens du Nord, nimbé de rudesse et de mystère, rajoute encore au charme. Bref, à l’instar de la musique disco et des petits pains craquants, la Suède a décidé volontairement de mettre en avant sa littérature policière à l'international. Et ça a marché. La vague de polars scandinaves, initiée par Henning Mankell, Stieg Larsson, et Camilla Läckberg notamment, a tout balayé sur son passage.

Regiokrimi

Mais attendez une seconde : des paysages incroyables, faits de fjords, de lacs, de rives sauvages et de majestueuses montagnes, des villages improbables, des zones reculées qui offrent au lecteur un exotisme littéraire unique. Ça marche aussi pour la Suisse, debleu ! Sans parler de la riche gamme de caractères que l’on va trouver dans chaque Canton, du Jura au Valais en passant par Solothurn et les Grisons ! «Les Suisses-allemands l’ont bien compris», m’explique le papa du «Dragon du Muveran», «et on peut trouver outre-Sarine un style bien spécifique de polar local, le regiokrimi. Ainsi, les romans ont souvent dans le titre le nom d’une ville ou d’une région du coin, et ça cartonne ! Les gens achètent ce genre de romans en série, et quelque part, ça soutient l’attractivité locale.»

Force est de constater qu’on a envie d’aller guigner du côté du Muveran depuis la publication du premier grand succès de Marc Voltenauer, ou vers Malatraix grâce à l’excellent roman éponyme d’Emmanuelle Robert, sans oublier le Val-de-Ruz sanglant de Nicolas Feuz dans «Noce de Sang». Mais il manque au polar suisse un véritable élan de soutien de la part des institutions culturelles.. «Difficile par exemple d’obtenir un soutien de Pro-Helvetia pour traduire les polars romands en allemand, et les polars suisse-allemands en français ! Cette année, Pro Helvetia soutien financièrement le Festival du polar Suisse, ce qui est un signe très positif. Pour ma part, j’ai eu la chance de me faire traduire en Allemagne pour pouvoir arriver sur le marché suisse-allemand !», explique l’auteur. «Sans parler de la promotion internationale du genre, qui est quasiment inexistante ! Ah si, il y a le festival Lisle Noire, à L’Isle-sur-Tarn, en France, qui a lieu dans deux semaines, et qui aura la Suisse comme invitée d’honneur. Mais ça fait figure d’exception. Et ça tombe mal, c’est le même week-end que le Festival Suisse du Polar..»

Qui a tué la Röstigraben ?

Né il y a deux ans à peine sous l’impulsion de Krimi Schweiz, l’association pour la littérature policière suisse, le Festival Suisse du Polar espère s’attaquer à un des nœuds du problème, en regroupant sous une même bannière les auteurs de tout le pays. En faisant ainsi sauter la barrière de la langue, le festival espère initier des rencontres qui favoriseront des coopérations tant au niveau de la traduction que de la promotion. «Sans rêver de devenir la nouvelle Suède, la Suisse pourrait vraiment se faire reconnaître dans le milieu», espère Marc, qui est membre fondateur de l’association et du festival.

Quand on lui fait remarquer que c’est assez élégant de sa part d’essayer de fédérer et de soutenir les collègues alors qu’il pourrait se contenter de se partager la plus grosse part du gâteau avec Nicolas Feuz, l’auteur fait preuve d’esprit sportif : « Nicolas et moi, nous faisons partie des quelques auteurs de polars romands à être distribués à large échelle sur le marché français et à pouvoir bénéficier de bons tirages, notamment en Poche. Si on peut profiter de notre notoriété pour mettre en lumière les dizaines de plumes talentueuses qui nourrissent le polar Suisse, et essayer de tirer ensemble à la même corde pour plus de reconnaissance, c’est évident qu’il faut le faire.»

Tout faire sauter

Faire sauter la barrière linguistique, mais aussi les préjugés littéraires, et envoyer le polar suisse par-delà les frontières, sont trois des principaux objectifs du Festival. Trop longtemps considéré comme un sous-genre bien éloigné de la noblesse de la «grande littérature», le polar souffre parfois, notamment auprès des institutions culturelles et d’une certaine intelligentsia, d’une réputation erronée et peu flatteuse. Marc, lui, voit au contraire, comme nombre de ses collègues de plume, un formidable véhicule culturel, qui permet de toucher un large public afin d’explorer des problématiques sociales, de revisiter l’histoire, de découvrir de nouveaux horizons, de voyager aux quatre coins du monde sans empreinte carbone, et évidemment, de se réjouir d’avoir réussi à trouver le coupable avant la fin du livre.

Le Festival du Polar Suisse commence aujourd'hui

La deuxième édition du Festival du Polar Suisse  aura lieu du 15 au 17 septembre 2023 à Granges, dans le Canton de Soleure. Cet événement national consacré exclusivement à la littérature policière suisse et incluant toutes les régions linguistiques vise à mettre en évidence la diversité de ce genre littéraire dans notre pays. Des autrices et auteurs de maisons d'édition et auto-édités de toute la Suisse y sont attendus. À cette occasion, le Prix Polar Suisse sera décerné lors d'une soirée de gala. Le festival, y compris la cérémonie de remise des prix, a lieu tous les deux ans.

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