Guerre annoncée dans le monde feutré des palaces

- Acheté par un fonds qatari, le Royal Hôtel Savoy est en rénovation au moins jusqu'en 2014.
- Dès son ouverture, l'établissement de luxe sera surclassé en catégorie «Cinq étoiles»
- Les 200 chambres supplémentaires vont exacerber la concurrence sur un marché déjà chahuté.

  • L'Hôtel Beau-Rivage à Ouchy, une des valeurs sûres de l'hôtellerie de luxe romande.

    L'Hôtel Beau-Rivage à Ouchy, une des valeurs sûres de l'hôtellerie de luxe romande.

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils y ont mis le paquet. Nouveaux propriétaires du célèbre Hôtel Savoy de Lausanne, les Qataris, comme à leur habitude, voient grand. Très grand même, puisque les travaux de rénovation engagés depuis 2010 se montent... à plus de 100 millions de francs et que le chantier, gigantesque, ne cesse de traîner en longueur. Initialement prévue pour janvier 2012, puis pour l'automne 2013, l'ouverture du futur palace est désormais repoussée à 2014, voire même 2015. Autorisations en attente, découverte de bijoux du patrimoine architectural ont fait traîner le projet en longueur.Nul doute cependant que le résultat final promet d'être somptueux. Sur le site de l'ancien hôtel va donc émerger un magnifique établissement fort de... 200 chambres, avec un spa, des salles de conférence, une terrasse avec vue sur le lac, etc.

Candidat idéal

Au final, et très logiquement le Savoy version 2 sera classé 5 étoiles, contre 4 pour son prédécesseur. «L'analyse de la situation du marché nous a conduits à un positionnement 5 étoiles, explique Steve Nikolov, directeur du marketing et porte parole de la société The Bürgenstock Selection, à laquelle appartient le Royal Savoy. Le site de l'hôtel, le bâtiment historique et les prestations que nous allons offrir en font un candidat idéal pour un 5 étoiles.»Audacieux et optimiste, Steve Nikolov ne cache pas ses ambitions pour le futur établissement, une fois rénové: «C'est clair, nous sommes dans une logique de concurrence avec les autres établissements, mais il y a suffisamment de place sur le marché lausannois pour un autre cinq étoiles!»Suffisamment de place? Voire! Car avec le Beau-Rivage et le Lausanne Palace, deux fleurons de l'hôtellerie haut de gamme, Lausanne semble être largement pourvue. «Que voulez-vous que je vous dise, lâche un brin philosophe Jean-Jacques Gauer, le directeur général du Lausanne Palace. Il y a 200 chambres en plus qui vont arriver dans le secteur, à une période où les temps ne sont pas faciles pour l'hôtellerie 5 étoiles autour du Léman! C'est clair, on serait certainement plus tranquilles sans un concurrent de plus!»Même son de cloche du côté de François Dussart, directeur du superbe Beau-Rivage: «C'est une concurrence supplémentaire et il est certain que ça va nous chahuter au début, constate-t-il. Mais je suis convaincu que cela va générer une clientèle additionnelle par la suite, et c'est évidemment un plus pour Lausanne».

Dimension sociologique

«A mon avis, observe un fin connaisseur du milieu hôtelier lausannois, aucun 5 étoiles n'est rentable en Suisse dès lors que l'on prend en compte la totalité de l'investissement dans le calcul. C'est soit un investissement de prestige, soit une juteuse opération immobilière. Lausanne est un petit marché et le Lausanne-Palace et le Beau-Rivage se livrent déjà une féroce concurrence, sans s'en sortir vraiment! Un troisième concurrent va s'ajouter et à mon avis on va entrer dans un combat de coqs lié au prestige: l'hôtel le plus beau, le plus lumineux...»Stefan Fraenkel, directeur d'INTEHL, Institut de l'innovation et de l'Entrepreunariat de l'Ecole hôtelière de Lausanne, ne partage pas cette analyse. Pour lui, la place hôtelière lausannoise est suffisamment vaste pour absorber la présence de 3 hôtels de grand luxe. «A Lausanne, il y a une dimension sociologique qui entre en ligne de compte, explique-t-il. Les grands hôtels sont intégrés dans le tissu social de la ville et le voisinage du Savoy va se le réapproprier comme lieu de réunion. En outre, l'implantation des sociétés internationales dans la région, ainsi que le développement des grandes écoles dans le giron de l'EPFL, vont augmenter la demande en nuitées». Et de conclure: «Pour Lausanne, la concurrence entre palaces ne pourra être que positive. La ville va se développer comme destination par rapport à Genève et Montreux, et les prix et les prestations vont s'améliorer».

 

Les Qataris en force

CA • Depuis une dizaine d'années, le petit et richissime émirat du Golfe fait ses emplettes en Europe. Et il ne se refuse rien, accrochant à son tableau de chasse de bien belles acquisitions. La Suisse n'est pas épargnée par cet appétit gargantuesque, et le pays, via la Société Katara Hospitality Switzerland, s'est déjà porté acquéreur de quelques fleurons du patrimoine helvétique. L'Hôtel Royal Savoy à Lausanne donc, mais aussi le Bürgenstock Resort à Obbürgen et le superbe Schweizerhof à Berne. D'autres établissements de luxe en Suisse romande et notamment à Genève feraient également partie de leurs achats futurs. L'émirat a également engagé une politique de diversification de ses placements, dans le sport via l'acquisition de clubs de foot par exemple, mais aussi dans la banque et la finance.