La Coupe de l'America, plus resplendissante que jamais

CHRONIQUE • La légendaire épreuve de voile a beaucoup été décriée par chez nous, surtout depuis qu'Alinghi a perdu son trône. La 34e édition vient de perpétuer toute sa magie.

  • L'occasion de se réconcilier avec cette compétition unique.

    L'occasion de se réconcilier avec cette compétition unique.

  • Et si Ernesto B. décidait de replonger dans l'aventure?

    Et si Ernesto B. décidait de replonger dans l'aventure?

La Coupe de l'America, depuis qu'un infâme milliardaire américain (Larry E.) l'a volée à un sympathique navigateur suisse (Ernesto B.), on s'en était désintéressé. Des années de palabres juridico-courd'écolesques, une aile rigide et un bras de fer mou plus tard, l'épopée Alinghi, pour laquelle notre fibre maritime s'agita tant, prenait fin dans les eaux de Valence, un triste jour de février 2010.Patriote et susceptible sur les bords, frappée par les embruns perfides de la déconvenue après avoir goûté en 2003 puis 2007 aux délices d'un double triomphe, l'OPH (Opinion publique helvétique) dénigrait soudain la légendaire America's Cup et sa vénérable aiguière d'argent.

Trois ans de froid

Après les folles amours, trois ans de froid, donc, alimentés par les agissements de Larry E., prétentieux patron des vilains d'Oracle, capable de tout pour confisquer le plus vieux trophée sportif du monde. (Autrement dit, le richissime new-yorkais a rigoureusement suivi le plan de route utilisé par l'ensemble de ses glorieux prédécesseurs depuis plus d'un siècle et demi: injecter un maximum de blé pour asseoir sa domination et, si toutefois les choses virent au vinaigre, se faufiler entre les mailles du règlement.)Trois ans de froid et puis finalement, l'occasion de se réconcilier avec cette ébouriffante 34e édition entre Oracle et Team New Zealand. La Coupe de l'America, malgré toutes ses dérives ou plutôt grâce à elles, s'est forgé une stature d'indestructible monument du sport. Au fil des vagues, elle forme une intarissable source de fascination, de débordements divers. Et ces dernières semaines, balayant les rancœurs passées, surfant sur la sidérante inspiration d'un scénario qu'Homère et Virgile réunis auraient eu du mal à tricoter, la magie a de nouveau opéré.Démodée, la Cup? Les monstres ailés qui lui servent désormais de bateaux filent plus vite que jamais (80 km/h) - avec la baie de San Francisco et le Golden Gate Bridge pour toile de fond, ça décoiffait! Un spectacle à vous fabriquer des insomniaques, doublé d'une trame hallucinante: de 1-8 en faveur des Kiwis à 9-8 pour les Américains. Décriée pour son caractère élitiste et démesuré, assombrie en amont par la mort d'un marin, l'épreuve a finalement débouché sur l'un des plus improbables renversements de situation qu'on n'ait jamais connu, toutes disciplines confondues. Plus fort qu'Ivan Lendl remontant deux sets et un break de retard contre John McEnroe en finale de Roland-Garros 1984. Aussi fou que Liverpool gommant trois buts de déficit pour chiper la Ligue des champions 2005 à l'AC Milan, qui fumait déjà le cigare à la mi-temps.

Déconcertante originalité

Oubliés les millions de dollars, la course à l'armement technologique, les coups fourrés et l'esprit parfois tordu. De 1-8 à 9-8, on s'y pince! Ne reste que la déconcertante originalité du drame. Même le fait que les méchants (Oracle, bien sûr) aient remporté ce mano a mano que les gentils n'auraient jamais dû perdre ne viendra pas ternir le chef d'œuvre.Comme chez Friedrich Dürenmatt, la Vieille Dame sonne toujours deux fois. La Coupe de l'America a ressurgi, plus resplendissante et imprévisible que jamais. Pour ses débuts en 1851, sous l'appellation de Coupe des Cent Guinées, elle avait vu autour de l'île de Wight le succès aujourd'hui encore contestable - en raison d'une bouée ratée - de la Goélette America sur la concurrence anglaise. Larry E., qu'on l'aime ou l'abhorre n'a rien fait d'autre que perpétuer la riche tradition. Et si Ernesto B. décidait, par on ne sait quel grain, de replonger dans l'aventure, c'est toute l'OPH qui frétillerait dans son sillage.