Quand la Suisse entière a mal au dos

CHRONIQUE • La fête s’annonçait si belle et voilà que soudain, plane un doute terrible: Roger Federer sera-t-il en mesure de disputer la finale de la Coupe Davis?

  • Roger Federer.

    Roger Federer. DR

Non, non, tout mais pas ça! L’actualité sportive, fidèle à elle-même donc pas toujours conforme à la loi, assène ses coups, bons ou mauvais. Mais des fois, comme diraient Raymond Poulidor et Caliméro d’une seule voix, «c’est trop injuste». On ne parle pas du nouveau tour de passe-passe réussi par la FIFA, qui grâce à une «Commission d’éthique indépendante» parvient derechef à désamorcer un rapport accablant - ça, c’est la routine. Là, on cause de beaucoup plus grave: le dos de Roger Federer.

Glaçante angoisse

Non, de grâce, tout mais pas ça. Pas le dos de Roger Federer à quelques jours d’une finale de Coupe Davis en France - la deuxième de l’histoire pour le tennis suisse, après celle perdue en 1992 aux Etats-Unis. L’horizon semblait imprenable, un océan de bonheur nous tendait les bras et soudain, l’uppercut qui déboussole, le séisme qui frappe la nation.

Dix-huit heures vingt et des poussières dimanche, saucisson aux herbes tranché petit blanc servi, canapé face télé, et puis patatras! Roger Federer ne peut pas disputer la finale du Masters contre Novak Djokovic; mal au dos. Au-delà de la déception immédiate d’une soirée foutue, soudain, la lame glaçante de l’angoisse déchire toutes les poitrines rouges à croix blanche: le ténor sera-t-il en mesure de jouer sa partition, ce week-end à Lille, lors de la tant attendue finale?

Bâtons d’encens, tapis divers, cierges neufs ou entamés... A partir de maintenant, tous les moyens sont bons d’implorer le ciel - puisse le virtuose avoir bon dos. D’ici à ce vendredi, jour des deux premiers simples au stade Pierre-Mauroy, ça va supputer sec et douter dru. Jusqu’au bout, on espérera la thèse du petit bobo miraculeusement envolé par le truchement d’une médecine toujours plus performante. Mais à chaque instant, on redoutera un fatal: «J’ai trop mal et à mon âge (ndlr: dites 33), il ne serait pas raisonnable de prendre des risques. C’est très dur, mais je dois renoncer.»

On croise les doigts

Non, tout mais pas ça. Ô tout-puissant marionnettiste, n’aurais-tu pas pu plutôt refiler une entorse douce à Lionel Messi, une crevaison bénigne à Lewis Hamilton? N’aurais-tu pas pu plutôt, et qu’ils nous pardonnent, prodiguer un claquage à Usain Bolt, une mononucléose à Michael Phelps, un contrôle positif à n’importe qui? Pourquoi diable, alors qu’Achille a un talon et Jupiter une cuisse, a-t-il fallu que tu t’en prennes au dos de Roger Federer? Là, maintenant, alors que la salle est louée depuis si longtemps, que les 27’000 «invités» piaffent et deux peuples avec eux...

Alors on se tient les pouces en croisant les doigts - quelle souplesse! On se dit que non, tout mais pas ça. Qu’au pire, même s’il est un peu short pour le vendredi, «RF» revêtira le costume à paillettes du sauveur dimanche, pour donner la possibilité ensuite à Stan Wawrinka de parachever le chef-d’œuvre en héros.

Beau, non? Oui, mais comme disait Napoléon à Waterloo ou Trafalgar, c’est pas gagné. Et la délicieuse attente de se transformer en douloureuse incertitude. La finale de la Coupe Davis, hit suprême de cette fin d’année sportive côté helvétique, virera-t-elle au cauchemar? Pourra jouer, Dieu, ou pourra pas? Et si oui, dans quelles proportions disposera-t-il de son infini talent?

Trop injuste

Deux fois seulement, avant le coup de Londres, Roger Federer avait renoncé à disputer un match de tennis - en 2008 à Bercy et en 2012 à Doha. Et si cela devait se reproduire cette semaine à Lille, la tristesse serait immense. Ce serait trop injuste. En plus, ça ouvrirait une porte aux esprits taquins qui constateront que ses douleurs, le «Maître» les a contractées (certains jeux de mots font moins rire que d’autres) au terme d’un bras de fer ultra tendu avec Stan Wawrinka, son équipier.