Sang glacé et cœurs qui chauffent

CHRONIQUE • La joute sportive jongle en toute insouciance entre le pire et le meilleur, le drame et le triomphe. La preuve ce week-end, de Thoune au Caire en passant par les pistes de Vail.

Le sport, pour peu qu’on n’en fasse pas plus d’une fois par jour et qu’on n’abuse pas du sang de veau en poudre pour stimuler son hématocrite, c’est bon pour la santé. Mais pas seulement. Le sport, si parfois il ne mène à rien (c’est un ancien boxeur qui me l’a dit), peut servir à tout. Pilier essentiel et bienveillant, il va jusqu’à combler les béances dominicales de ceux qui ne le pratiquent pas, ou plus.

Tout ça pour dire que dimanche passé, planqué des bourrasques et divine zappette en main, on ne s’est pas ennuyé une seconde. Et par les grâces lumineuses de la confession cathodique, on a reçu la confirmation que le sport pouvait à la fois ne servir à rien et mener à tout; le meilleur comme le pire.

Réchauffer les cœurs

A propos de mariage, le milieu de terrain du FC Thoune Alexander Gonzalez a profité de la réception ultra glamour du FC Aarau pour adresser, juste avant le coup d’envoi, une demande ultime à la belle de ses jours. Agenouillé devant elle (et 4 628 témoins directs auxquels on ajoutera joueurs, arbitres, invités divers et autres staffs techniques pour être précis), balayant ce froid de canard d’une riche idée, le Vénézuélien a suscité, outre l’assentiment ravi de sa dulcinée, un trait de génie lyrico-liturgique sur le site blick.ch: «Ce que Saint-Pierre ne réussit pas, Alexandre Gonzalez le réalise: il réchauffe les cœurs.» On appelle ça la magie de la Stockhorn Arena, berlingot de taule et de béton posé dans la zone industrielle thounoise - bière et saucisses payantes, mais vue imprenable sur l’Eiger, le Mönch et la Jungfrau.

Quelques heures plus tard, dans un autre cadre (Le Caire) et un contexte fort différent (le championnat égyptien se joue quasi à huis-clos depuis les affrontements meurtriers de Port-Saïd en 2012), il y a à nouveau eu des morts dans un stade, en l’occurrence celui bien mal nommé des «Forces aériennes». Pour cette fois, le ministère de l’Intérieur avait autorisé la présence de 10’000 spectateurs pour encourager les équipes de Zamalek et du ENPPI Club (pour ENgineering for the petroleum and process industries, sic). Certains qui n’avaient pas de billets ont voulu rentrer quand même. Premier bilan des échauffourées entre supporters «ultra» et police: 22 morts.

Une saison sauvée

Le même soir, la Côte d’Ivoire, victorieuse de la Coupe d’Afrique des Nations pour la deuxième fois après 1992 (9-8 aux penalties contre le Ghana), déclenchait une liesse inimaginable dans tout le pays, pour quelques jours au moins. Donc le sport peut en même temps glacer le sang et réchauffer les c(h)œurs.

Ceux qui portent un «h» ont résonné très fort afin de réserver digne accueil à la nouvelle édition du Tournoi des 6 nations; et ceux qui n’en ont pas ont battu non moins ardemment histoire de célébrer la gloire retrouvée des skieurs suisses. En une course et pas des moindres puisqu’il s’agissait de la descente des Mondiaux de Vail, Patrick Küng (or) et Beat Feuz (bronze) ont sauvé une saison jusqu’ici morne à souhait pour la spatule helvétique.

Comme quoi, de l’infernal dépotoir au triomphe absolu, il n’y a parfois qu’un pas, un fil de toutes les couleurs que déroule le sport à tire d’années. Mais ce n’est sûrement pas à cette frontière si ténue que songeait Cristiano Ronaldo, samedi soir quelques heures après la déroute du Real Madrid (4-0 contre le rival Atlético), lorsqu’il fêtait ses 30 piges en compagnie de 150 invités déchaînés.