Et si on mettait Albert Camus à la tête de la FIFA?

Chronique• Les instances du foot mondial s’effondrent gentiment, entre scandales réitérés et burlesque de répétition. Est-il possible de trouver une morale à toutes ces histoires?

La dimension théâtrale du football n’avait échappé à personne - dans les deux cas, on y joue. Mais pour atteindre un niveau de dramaturgie si parfait, le talent ne suffit plus. Il faut des acteurs de génie, une trame de «compète». Là, on a tout pour rêver. La crème du gratin. Une pléiade fantastique de prétendants plus ou moins solubles dans l’eau propre, qui s’affairent ou s’étripent dans l’ombre déclinante de Sepp Blatter, sublime en monarque shakespearien, à la fois si bonhomme et affreusement revanchard au cœur de la tempête qui cause son naufrage - à moins que son naufrage ne cause la tempête.

 

La fin de l’ordre établi

Un roi qui tombe, ça ne se fait en général pas sans laisser des éclaboussures sur les rideaux de la salle à manger. Surtout quand le souverain s’est juré, la main sur le cœur et les yeux au ciel, de n’oublier personne dans sa chute. Conclusion: le spectacle promet énormément, ces prochains mois, dans les sphères ultimes du pouvoir footballistique, avec comme clou l’élection à la tête de la FIFA, prévue le 26 février prochain. D’ici là, on va nager en plein bonheur, entre Machiavel et Pinocchio, Grand Guignol et Clausewitz.

Avant, le monde était un empire, désespérément souillé par les affaires, mais apparemment immuable, figé dans ses rites. Les récentes suspensions de Sepp Blatter, président de la fédération internationale, et Michel Platini, son homologue à l’UEFA, qui visait le poste du père spirituel devenu ennemi intime, ont bouleversé la donne. L’ordre établi chancèle, la partie est relancée. L’intrigue s’enflamme, les appétits s’aiguisent et les rancœurs macèrent. Les coups pleuvent bas et, pour l’instant, c’est la glorieuse incertitude qui l’emporte.

 

Au tour des Allemands

Sepp Blatter, qui a promené vendredi passé sa bonne humeur et sa pugnacité légendaire sur les ondes de la station haut-valaisanne Radio Rottu, avait tapis rouge pour un 5e mandat sur le toit du monde, il y a peu encore. Le voilà qui ploie au son des casseroles, incarnation d’une gouvernance appelée à disparaître. Cela ne l’empêche pas de continuer à évoquer sa «mission», osant prétendre qu’elle n’est pas finie.

Platini, le fils prodigue appelé à lui succéder, risque maintenant de passer par la fenêtre suite à une histoire de versement illégal entre les deux hommes. Sous enquête, «Platoche» voit son destin suspendu. Dans la foulée, comme par hasard, le président de la fédération allemande Wolfgang Niersbach, qui s’imaginait déjà s’asseoir sur le trône du Français à l’UEFA, est lui aussi mouillé dans un scandale de corruption.

Le Spiegel l’affirme: l’Allemagne aurait acheté l’organisation de la Coupe du monde 2006 et Niersbach, déjà dans le coup à l’image du Kaiser Franz Beckenbauer, ne pouvaient pas ignorer l’existence d’une caisse-noire. Alimentée à hauteur de 6,7 millions d’euros par feu Robert Louis-Dreyfus, alors patron d’Adidas, elle aurait servi à obtenir les voix des quatre membres asiatiques du Comité exécutif de la FIFA. Un grand classique qui fait du bruit; une bombe à retardement, dans le sens où l’abstention de dernière minute du Néo-Zélandais Charles Dempsey avait déjà fait couler beaucoup d’encre à l’époque.

 

Quand Camus s’en mêle

Le théâtre continue, avec des têtes qui tombent, à l’image de celle du Sud-Coréen Chung-Mong-joon, suspendu pour 6 ans parce qu’il n’a pas été tout net dans le processus d’attribution des Mondiaux 2018 et 2022; et des têtes qui se profilent, comme celle du président de la fédération néerlandaise Michael van Praag, ex-arbitre et fils du patron du grand Ajax des années 1960 et 70. Balle au centre, affaires à suivre.

«Le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre», dit un jour Albert Camus, ancien gardien de but. Ah si c’était lui, le prochain président de la FIFA... n