Débrancher les centrales utile ou néfaste?

- Les Suisses se prononcent le 27 novembre sur l’initiative des Verts «Pour la sortie programmée de l’énergie nucléaire» qui prévoit un arrêt total des centrales dans 45 ans. En cas d’acceptation, trois centrales devraient immédiatement être débranchées.
 
- Le Conseil fédéral ne veut pas de date butoir et préconise un retrait par étapes, jugeant préjudiciable une sortie précipitée du nucléaire.
 
- Le Vert Daniel Brélaz soutient l’initiative, le PLR Olivier Feller est contre, tous deux au nom de... la protection de l’environnement.

  •  DANIEL BRÉLAZ • L’ancien syndic de Lausanne s’engage résolument en faveur de l’initiative «Pour la sortie programmée de l’énergie nucléaire».

    DANIEL BRÉLAZ • L’ancien syndic de Lausanne s’engage résolument en faveur de l’initiative «Pour la sortie programmée de l’énergie nucléaire».

  • OLIVIER FELLER

    OLIVIER FELLER

DANIEL BRÉLAZ • L’ancien syndic de Lausanne s’engage résolument en faveur de l’initiative «Pour la sortie programmée de l’énergie nucléaire».

Le premier reproche que l’on fait à l’initiative c’est qu’elle va beaucoup trop vite, avec un article constitutionnel applicable immédiatement.

Cela ne tient pas la route. Après Fukushima, le Japon a tout arrêté en moins de 6 mois. L’Allemagne a prévu de le faire à 11 ans. Et puis, je vous signale que cet hiver en Suisse les centrales de Leibstadt et de Bresnau sont hors service, ce qui fait un déficit énergétique de 1500 Megawatts. Autant dire que cet hiver verra une situation plus serrée qu’en cas d’application de l’initiative.

Y a-t-il un réel risque d’accident nucléaire en Suisse?

Depuis le début, on nous dit que ce scénario ne peut se produire. Or, on l’avait dit avant l’accident de Three mile island en 1979, puis avant Tchernobyl, puis avant Fukushima. Aujourd’hui, la moyenne d’âge des centrales en activité est de 26 ans. Beznau en a 47 et nous sommes le premier pays au monde à viser 60-70 ans, car Beznau 2 sans Beznau 1 perd plus de 100 millions par an, en raison d’un coût bien plus cher que celui du marché. En attendant, le risque d’accident nucléaire est majeur, de l’ordre de 10 à 20%. C’est irresponsable surtout que les centrales ne sont assurées qu’à hauteur de 1,5 milliards de francs. Fukushima a coûté 200 milliards et ce n’est pas fini...

Les détracteurs de l’initiative disent que la Suisse aura du mal à s’approvisionner en électricité.

C’est faux. L’Europe a une surcapacité, à hauteur de 11 fois la production des centrales nucléaires suisses. Moyennant quelques aménagements, le réseau européen répondra aisément aux besoins suisses. J’ajoute qu’en multipliant simplement sa production de solaire électrique par 20, la Suisse obtiendrait l’équivalent de la production de toutes ses centrales nucléaires.

En attendant, la Suisse devrait au moins temporairement augmenter ses importations d’électricité, notamment de pays qui la produisent à partir de charbon.

Cet argument, émanant des détracteurs de l’initiative, est une pure malhonnêteté. Car d’une part l’Allemagne n’a pas assez de charbon et d’autre part elle a signé Cop21. En plus, il nous est facile d’acheter de l’électricité hydrauliquechez nos voisins, voire même de l’électricité provenant de parcs éoliens européens détenus par des compagnies suisses.

Enfin, en cas d’acceptation de l’initiative par le peuple, la Confédération risque d’avoir à indemniser les exploitants de centrales...

Ce risque est incontestable, d’autant que le Conseil fédéral a fait l’erreur de rendre les autorisations d’exploitation illimitées. La Confédération a payé 4 milliards pour le Gothard, 5 milliards par an pour l’armée. Elle pourrait bien payer quelques centaines de millions d’indemnité alors qu’elle a un budget annuel de 65 milliards.

Pensez-vous enfin que l’initiative a des chances de passer?

On a des chances, mais ce n’est pas gagné, quand on voit la manière dont les opposants bourrent le crâne des gens.

 


 

OLIVIER FELLER • Le Conseiller national PLR juge contre-productive une sortie précipitée du nucléaire.

Pourquoi estimez-vous qu’une sortie immédiate du nucléaire serait une mauvaise chose?

La Suisse a fait le pari à la fois de sortir du nucléaire et de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Or, un «oui» à l’initiative conduirait paradoxalement à une accélération du réchauffement climatique. Si d’un jour à l’autre on venait à fermer 3 centrales, une partie de nos 37% d’électricité produite par le nucléaire devrait être remplacée par une autre source. Il faudrait donc soit construire des centrales à gaz, ce qui a un coût, ou alors importer de l’électricité - surtout nucléaire - de France, ou d’Allemagne, où elle est produite à partir du gaz ou du charbon. Dans tous les cas, cela se traduirait par une augmentation des émissions de gaz à effet de serre.

Donc, votre refus de l’initiative s’inscrit dans une démarche de protection de l’environnement.

Absolument. La différence entre Daniel Brélaz et moi ne porte pas sur la finalité - sortir du nucléaire, comme le veut une forte majorité des Suisses - mais sur les modalités. Entre rester dogmatique et dire: «les centrales nucléaires peuvent encore fonctionner selon des critères de sécurité dûment formalisés par l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire», mon choix est clair.

Si cette initiative est nocive pour l’environnement, comment expliquer que les Verts se soient lancés dans une telle démarche?

À mon sens, il y a quelque chose qui relève du coup politique pour renforcer leur base électorale, mal en point en ce moment. Et puis, il y a le fait qu’en demandant beaucoup ils espèrent au moins obtenir quelque chose. Cela a d’ailleurs marché avec la «Stratégie énergétique 2050».

L’autre argument est qu’une sortie précipitée du nucléaire coûterait très cher...

Selon les règles du jeu actuelles, l’exploitant peut exploiter une centrale tant que la sécurité est garantie. Changer ces règles conduirait à une demande d’indemnisation, c’est sûr. Sans compter le fait qu’aujourd’hui, les exploitants alimentent un fonds destiné au démantèlement futur des centrales. En cas d’arrêt brutal de l’exploitation, c’est donc le contribuable qui devra au moins en partie financer les démantèlements.

Et si, après un rejet de l’initiative par le peuple, survenait un accident nucléaire majeur ?

Ce serait une catastrophe à la fois humaine et financière! Mais je fais confiance à l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire pour que cela n’arrive pas. Et il nous faut bien prendre des décisions sur la base d’une pesée des intérêts qui intègre tous les enjeux, y compris le danger que représentent les émissions de gaz à effet de serre.

Vous êtes à Berne. Existe-t-il un lobby pro-nucléaire aux chambres fédérales?

Si le lobby pro-nucléaire existait, comment expliquer qu’une majorité de parlementaires, dont je fais partie, ait accepté le premier paquet de mesures de la «Stratégie énergétique 2050?» D’ailleurs je rappelle que ce projet entérine bel et bien une sortie du nucléaire, mais de manière pragmatique en prévoyant le renforcement progressif des énergies alternatives.