Quand le réchauffement climatique modifie le vin

  1. En raison du réchauffe- ment climatique, les viticulteurs ont tendance à avancer la date des vendanges. Pour preuve: elles ont déjà débuté sur territoire vaudois.
  2. Ce phénomène climatique change la typicité des vins en faisant grimper leur taux d’alcool et diminuer l’acidité des vins.
  3. L’influence est plutôt positive pour les cépages rouges, mais les blancs, comme le Chasselas, sont plus fragiles.

  • Les changements climatiques en cours modifient la typicité des vins. dr

    Les changements climatiques en cours modifient la typicité des vins. dr

«Certains cépages typiquement suisses comme le Chasselas pourraient avoir du mal à résister à un climat plus chaud»

Blaise Petitpierre, chercheur au Département d’Ecologie et d’Evolution de l’Université de Lausanne.

Un peu partout dans le canton de Vaud, les vendanges ont commencé. «C’est incontestablement très tôt», déclare la viticultrice Noémie Graff, propriétaire du domaine Le Satyre à Begnins. Mais ça s’explique: les raisins mûrissent plus vite à cause du réchauffement climatique. Et comme le sucre du fruit se transforme en alcool pendant la fermentation, le degré alcoolique des vins prend l’ascenseur…

En moyenne, le vin de table a gagné entre 2 et 4 degrés depuis les années 1970. Cette évolution est plutôt positive pour les vignobles suisses: «Nous pouvons amener plus facilement à une belle maturité certains cépages traditionnels. Cela nous permet aussi de cultiver des cépages qui nous étaient jusqu’ici inaccessibles car trop tardifs, comme les Cabernets», explique la viticultrice vaudoise. Il y a un siècle, le climat suisse était trop frais pour ces cépages, d’après Vivian Zufferey, ingénieur agronome à la station de recherche Agroscope. La qualité actuelle des vins suisses est «supérieure à celle que l’on obtenait il y a quinze ans», confirme Werner Siegfried, chercheur à la station Agroscope de Wädenswil (ZH).

Des risques aussi

Mais le réchauffement climatique présente aussi des risques. Si la quantité de sucre et le taux d’alcool augmentent, l’acidité diminue, avec pour conséquence une perte de fraîcheur en bouche et un potentiel de garde réduit. Et si le manque d’eau réussit bien aux cépages rouges, comme le pinot ou le gamay, les cépages blancs sont moins résistants à la sécheresse.

Soumise à un fort stress hydrique, une Petite Arvine «deviendra plus astringente, plus amère, et aura tendance à perdre ses arômes caractéristiques de pamplemousse, de rhubarbe et de fruit de la passion», selon Vivian Zufferey. Quant au Chasselas, particulièrement sensible aux températures très élevées, en particulier, il est menacé. Pas en tant que tel, car la vigne s’adapte en variant son comportement physiologique, mais «s’il fait trop chaud, on ne pourra plus garder sa typicité».

«Certains cépages typiquement suisses comme le Chasselas ou le Cornalin pourraient en effet avoir du mal à résister à un climat plus chaud et risquent de devoir être remplacés par d’autres cépages mieux adaptés, mais qui ne possèdent pas la même identité historico-culturelle», ajoute Blaise Petitpierre, chercheur au Département d’Ecologie et d’Evolution de l’Université de Lausanne.

Optimisme de rigueur

Les solutions? Elles consistent essentiellement à créer par croisement des cépages plus résistants, à déplacer les cultures à une plus haute altitude, ou encore à cultiver des cépages plus tardifs. Agroscope mène des expériences à Leytron en Valais, à Pully et dans le Tessin. Evidemment, les viticulteurs aussi font des essais. «Nous cultivons depuis plusieurs années un cépage tardif, le Carminoir», indique par exemple Noémie Graff. Autre solution complémentaire et écologique: les vendanges de nuit pour éviter un refroidissement en cave.

Pour Nathalie Ollat, ingénieure à l’Institut des sciences de la vigne et du vin à Bordeaux, les vins de demain «auront un goût d’alcool plus prononcé, avec moins d’acidité, plus d’arômes fruités, et seront destinés à être bus plus jeunes ». Directeur du Centre de compétence vitivinicole du Service de l’agriculture et de la viticulture du canton de Vaud, à Marcelin, Olivier Viret se veut optimiste: «Dans l’agriculture, on est habitué à devoir s’adapter en permanence à cet environnement qui n’est jamais stable et, jusqu’à présent, on a toujours trouvé des solutions.» «Au premier siècle après Jésus-Christ, un agronome romain disait déjà qu’il y a toujours quelque chose qui nuit à la vigne», se plaît à rappeler Noémie Graff.

Des vignobles... dans le nord!

Le réchauffement climatique entraîne l’apparition de vignobles dans des régions inhabituelles, par exemple la Bretagne ou… la Suède. En Angleterre, le nombre de vignobles a augmenté de 150% en dix ans et la reine Elisabeth a fait planter sur son domaine de Windsor quelque 16’000 ceps de Pinot noir, de Pinot meunier et de Chardonnay. Dans la Patagonie chilienne, pays de volcans enneigés connu pour son climat froid et pluvieux, on est maintenant en mesure de produire du Sauvignon gris ou du Pinot gris. On fait même pousser du chardonnay et du pinot noir au Québec (notre photo), où le vin rouge peut actuellement atteindre 13,5 degrés d’alcool.

La Suisse fortement touchée

La Suisse est deux fois plus touchée que le reste du monde par le réchauffement climatique, selon ProClim, le forum pour le climat de l’Académie suisse des sciences naturelles. Et les scientifiques tablent sur une hausse supplémentaire de 2 à 3° d’ici à 2050. Un phénomène qui oblige les viticulteurs à avancer la date des vendanges. Au centre viticole d’Agroscope à Pully, par exemple, elles ont lieu une dizaine de jours plus tôt qu’il y a 80 ans. Mais dans des régions plus chaudes comme le Bordelais, elles ont dû être avancées de plus d’un mois…