Un enfant de Lausanne devenu un dieu vivant

  • Les funérailles solennelles du roi de Thaïlande Bhumibol, décédé il y a un an,  viennent de s’achever à Bangkok. Elles ont duré 5 jours.
  • En arrière-plan, Lausanne, où le souverain a vécu de de 1935 à 1951. Un documentaire télévisé thaï consacré à ses années passées dans le canton de Vaud passionne le pays.
  • Un livre, paru avec le soutien de Lausanne Tourisme, et qui évoque ces faits, est par ailleurs actuellement distribué dans toute la Thaïlande.

  •  La crémation du roi, décédé l’an dernier, a plongé le pays dans un profond désarroi. dr

    La crémation du roi, décédé l’an dernier, a plongé le pays dans un profond désarroi. dr

«On nous appelait Monsieur, Mademoiselle, et non Prince ou Princesse. Nous étions comme des petits Suisses et nous menions la vie des gens ordinaires»

Princesse Galyani, sœur du roi Bhumibol

Tout un pays en deuil, des millions de Thaïlandais qui pleurent le «père de la nation»: la cérémonie de crémation, qui a eu lieu jeudi dernier au cœur de Bangkok, a pris une ampleur proportionnelle à la longueur du règne (70 ans) et à l’attachement quasi-religieux des Thaïlandais pour leur souverain. Pendant toute une année – il est décédé le 13 octobre 1916 à 88 ans – le royaume a pleuré la disparition d’un demi-dieu. Ses ministres et généraux ne l’approchaient que couchés à ses pieds, parlant «à la poussière de ses pieds».

Un enfant de Lausanne

Ce que beaucoup toutefois ne savent pas, c’est que ce roi vénéré est un enfant de Lausanne. Né à Cambridge, dans le Massachusetts, Bhumibol y est arrivé après le décès de son père en 1933. Il a 5 ans. Devenue veuve à 29 ans, la princesse Mahidol a trois enfants. C’est l’aîné, Ananda (10 ans), qui doit porter la couronne à sa majorité. Presque à regret: «Je ne suis pas heureux de devenir roi, parce que je voudrais pouvoir m’amuser encore!», confie l’enfant-roi*. Pressentiment? Il sera trouvé mort par balle sur son lit au palais de Bangkok, en juin 1946. Meurtre, accident ou suicide, la raison du drame n’a jamais été communiquée. Bhumibol monte sur le trône en 1951 après avoir terminé ses études à Lausanne.

Une vie de gens ordinaires

«On nous appelait Monsieur, Mademoiselle, et non Prince ou Princesse. Nous étions comme des petits Suisses et nous menions la vie des gens ordinaires», racontera plus tard la princesse Galyani, qui fut professeur de français à Bangkok. Sous la houlette de leur précepteur Cléon Seraïdaris, les deux futurs rois apprennent à skier: Villars, Adelboden, Champex, Davos, Zermatt. Quand ils se rendent aux Grisons, la famille voyage en train: «La Suisse est le plus beau pays au monde. Le seul où l’on peut voyager sans être armé et où l’on ne risque pas d’être la victime d’un rapt», confie leur mère qui suit de près l’instruction des enfants. «Un roi doit être un érudit! Il doit montrer l’exemple et beaucoup travailler. Et il doit savoir obéir avant de commander».

Son pays d’adoption

Cousin du Prince Bira, le champion automobile thaï des années 30, le roi est passionné de sports mécaniques. Il s’occupe personnellement de ses voitures, un coupé MG, une petite Topolino et une Salmson à compresseur avec laquelle «il en a profité pour faire de la vitesse et battre ses propres records sur la route entre Lausanne et Genève, à la vitesse de 140 km/h de moyenne», note la police vaudoise. C’était avant l’inauguration de l’autoroute, en 1964, et les limitations de vitesse.

Alors qu’il n’a pas fini ses études à Lausanne, il épouse en 1950 la fille de l’ambassadeur de Thaïlande à Paris. Les deux fiancés descendent du même roi Rama V, qui a eu … 77 enfants! Il a rencontré Sirikit lors de ses escapades au bord de la Seine, où il va régulièrement écouter du jazz. Lors de son séjour dans le Lavaux en 1960, le roi avait confessé: «J’y ai un peu laissé mon cœur». En signe de gratitude, il a offert un pavillon à Ouchy, inauguré en mars 2009 par sa fille, la princesse Sirindhorn.

* Un roi en Suisse, La jeunesse helvétique du roi Bhumibol de Thaïlande, Olivier Grivat, Editions Favre

Le roi à Lausanne et Pully

Arrivée à Lausanne en 1933, la princesse Mahidol et ses trois enfants,Galyani ainsi que Bhumibol (à gauche, avec son frère Ananda sur la photo) occupent un appartement de l’avenue Tissot 16. Ils déménagent à Pully en 1935 dans une villa louée au chemin de Chamblandes, rebaptisée Villa Vadhana, du nom de la grand-mère paternelle. La maison se situe près de Champittet, mais c’est l’Ecole Nouvelle que les deux futurs rois vont fréquenter: «La seule différence avec nous qui venions en vélo, c’était leur précepteur qui venait les chercher avec une grande voiture munie de pneus à flancs blancs,» se souvient un ancien élève. En 1950, Bhumibol passe des examens accélérés de droit et de sciences sociales à la Cité. Ses camarades ont pour nom Michel Denériaz et Emile Gardaz.

Un livre sur Lausanne en Thaïlande

Sous le titre «Notre roi», et avec le soutien de Lausanne Tourisme, deux auteurs thaïlandais publient à Bangkok un ouvrage de dessins portant sur tous les lieux où la famille royale a vécu. A la fois dans la région lausannoise pour la période allant jusqu’en 1951 et en Lavaux pour les années 1960-61. Le journaliste Supoj Lokunsombat (un ancien de l’Ecole hôtelière de Glion) et l’artiste Krikbura Yomnag, bien connu à Bangkok, sont venus cet été repérer les lieux, les photographier et réaliser un formidable travail de dessins. Il montre aussi bien l’Ecole Nouvelle de Chailly que la gare de Puidoux et son chef de gare qui avait accueilli le train spécial de la famille royale ou la Villa du Flonzaley.