«Un compromis pour sortir du chaos actuel»

  • Avec son collègue genevois Mauro Poggia, Pierre-Yves Maillard s’est lancé dans une nouvelle initiative populaire fédérale intitulée «Assurance-maladie. Pour une liberté d’organisation des cantons».
  • Le texte prévoit la possibilité pour les cantons de créer des caisses-maladie publiques et cantonales qui fixeraient et encaisseraient les primes.
  • Pour le ministre en charge de la santé, l’initiative est un compromis qui permettrait une transparence et une maîtrise des coûts.

  • Pierre-Yves Maillard - VERISSIMO

    Pierre-Yves Maillard - VERISSIMO

Lausanne Cités: Pourquoi se lancer à nouveau dans une initiative, alors que les projections semblent annoncerun retour à l’équilibre sur le front des primes?

Pierre-Yves Maillard: Parce que le chaos et l’opacité dans la fixation des primes doivent cesser. Cette année, certains assureurs ont refusé de suivre l’injonction à la baisse du Conseiller fédéral, ce qui nous prépare un retour des excédents. Ils obtiennent chaque année que les cantons perdent en information pour donner leur préavis sur les primes en invoquant le secret des affaires! S’agissant de la fixation d’un prélèvement obligatoire, c’est invraisemblable. L’avis des cantons est certes très peu suivi par l’autorité fédérale. Mais parfois il évite des aberrations. Par exemple, nous avons fait corriger les primes d’un gros assureur qui a l’habitude de calculer ses primes en imputant aux pronostics de coûts des différents domaines exactement le même taux de croissance. Il décide donc d’abord le résultat, puis l’impute aux différents domaines de coûts.

Que propose votre initiative?

Il y aura toujours une prime par tête, des franchises et la possibilité d’adhérer à des systèmes particuliers d’assurance. Pour décrire le changement de la manière la plus simple, ce qui changera, c’est le numéro de CCP qui figurera sur le bordereau des primes. Ce ne sera plus celui de l’assureur, mais celui d’une institution de droit public cantonale qui gèrera l’argent et fixera le montant des primes. La force de cette initiative, c’est qu’elle permet un processus transparent et rigoureux de fixation des prime, ce qui représente un gain énorme.

Que restera-t-il aux caisses maladie?

Le travail d’affiliation, la gestion des mutations et le contrôle des factures. Et puis, surtout, il leur restera le contact avec les assurés de base ce qui leur permettra de placer leurs complémentaires. Ce n’est pas par hasard si Jean-Paul Diserens, le fondateur d’Assura, soutient notre initiative qui est le meilleur compromis pour sortir du chaos actuel.

Donc c’est votre texte ou le chaos ?

Non, il y a une autre voie, celle d’une logique marchande absolue qui passera par la fin de l’obligation de contracter de tous les assureurs avec tous les fournisseurs de soins, c’est à dire à la fin du libre choix du médecin et de l’hôpital.

En quoi des primes fixées par une caisse cantonale publique seraient-elles plus justes ?

Dans le système actuel, le calcul des primes est soumis à tant d’incertitudes qu’il en devient impossible de le l’évaluer sans erreurs. Du coup, les assureurs ne peuvent que se tromper et chercher à se rattraper les années suivantes. Un système qui pousse au changement de caisse sans que les réserves suivent l’assuré est juste intenable. Le modèle que l’initiative propose réduit l’incertitude sur la fixation des primes à la marge d’erreur sur l’évolution des coûts, la question de l’effectif de chaque caisse étant résolue.

Les 2 dernières initiatives sur les caisses maladies ont échoué devant le peuple. Ne craignez-vous pas de perdre encore une fois ?

Ce texte tire les leçons du passé. D’abord parce qu’il se fonde sur une approche cantonale, car il suffit que l’on dise aux Alémaniques que l’on mélange primes et coûts avec les Romands pour que ce soit voué à l’échec. L’idée d’un modèle cantonal correspond mieux à leur sensibilité. Ensuite, l’initiative correspond à la logique de l’organisation du système de santé suisse où la responsabilité de couvrir les besoins revient aux cantons. Enfin, le texte dissipe les craintes qu’aurait représenté l’organisation administrative d’une caisse nationale unique.

Votre initiative ne règle rien en matière de maîtrise des coûts...

En apparence non, mais en réalité oui. Parce que la transparence aura des conséquences sur la maîtrise des coûts et parce que l’initiative enjoint la caisse cantonale publique de mener des politiques de prévention, ce qui agira à terme sur les coûts. Seule une caisse publique qui sait qu’elle aura à assurer une population de la naissance à la mort peut le faire, alors que l’horizon des caisses actuelles est limitée à un contrat de 12 mois. Enfin, une caisse cantonale publique rétablira une unité et une indépendance dans la négociation des tarifs avec les fournisseurs de prestations. Aujourd’hui, les assureurs négocient à la fois les tarifs de l’assurance de base et ceux des assurances privées. On n’a aucune garantie, quand il faut obtenir un compromis avec les médecins, que les intérêts de l’assurance de base passent en premier.

Reste maintenant à vendre votre texte sur le plan politique…

L’initiative est un peu trop modérée pour emballer les plus militants à gauche, et pas assez libérale pour la droite. En fait, il nous faut travailler à ce que les milieux de gauche et les milieux syndicaux comprennent l’urgence d’agir sur la structure du système pour éviter sa marchandisation intégrale. Cela passe par l’abandon de l’ambition d’un système centralisé et national.

Propos recueillis par Charaf Abdessemed et Philippe Kottelat