Filles de joie, filles de l'Est...

- A Lausanne, les prostituées de rue vivent une réalité de plus en plus sordide.
- En cause, l'arrivée de filles de l'Est qui cassent le marché et dépendraient de réseaux.
- Un député socialiste s'en émeut et appelle le monde politique a plus de vigilance.

  • A Lausanne, les filles de l'Est n'hésitent pas à casser les prix.

    A Lausanne, les filles de l'Est n'hésitent pas à casser les prix.

MARCHE DU SEXE • «Il y a une année, une passe se négociait autour de 100 francs. Aujourd'hui, certaines filles la proposent à moins de 50. Ce sont des nouvelles qui viennent de l'Est et, si vous voulez mon avis, elles sont loin de pouvoir faire totalement ce qu'elles veulent.» Rosy (*) sait de quoi elle parle. Mais elle n'en dira pas plus. Trop risqué à ses yeux. Cette Lausannoise d'adoption, qui bat le pavé de la capitale vaudoise depuis une dizaine d'années «pour son propre compte» et «sans jamais avoir dépendu de quiconque» l'affirme toutefois clairement: le marché de la nuit lausannoise a profondément changé et les prostituées vivent une réalité de plus en plus sordide.

Les filles de l'Est

A l'origine de ce changement, la crise économique, mais aussi et surtout, l'arrivée en masse sur le marché suisse de prostituées, essentiellement des Roumaines et des Bulgares, qui cassent les prix et qui, pour certaines, dépendraient de réseaux constitués. «Depuis l'ouverture des frontières à l'espace Schengen, les femmes de l'Est ont effectivement supplanté les Sud-américaines qui constituaient le terreau de la prostitution étrangère sur sol vaudois», note Jean-Christophe Sauterel. Le porte-parole de la police cantonale estime toutefois que le milieu est sous contrôle. Pour preuve, il brandit les statistiques 2011 qui montrent que des contrôles ont été effectués dans les 194 salons de massage du canton et que seuls sept ont fait l'objet d'une fermeture immédiate. Lors de ceux-ci, 761 personnes ont été contrôlées et 25 étaient en infraction à la Loi sur la prostitution, 19 à la Loi fédérale sur les étrangers. Des chiffres en recul par rapport à ceux de l'année précédente.

Des réseaux?

Reste que ceux-ci concernent essentiellement la prostitution dans les salons. En est-il de même dans la rue? «A première vue, oui» répond Jean-Christophe Sauterel qui tient à rappeler que la prostitution est autorisée en Suisse et que le proxénétisme ne constitue plus un délit, sauf s'il s'accompagne de contrainte. La présence massive de prostituées bulgares et roumaines entraîne-t-elle dès lors un risque potentiel de traite d'êtres humains comme certains semblent l'affirmer? Là également Jean-Christophe Sauterel tient à se montrer rassurant: «Nous n'avons pas d'éléments qui prouveraient des cas de traites d'êtres humains à travers des réseaux, résume-t-il, mais je peux vous dire que plusieurs enquêtes ont été ouvertes dans le canton, et notamment à Lausanne. Elles visent l'encouragement à la prostitution et ciblent des prostituées «aînées» qui pousseraient des compatriotes à venir tapiner dans les rues ou les salons.

Quelques indices

Directrice de Fleur de Pavé, l'association qui vient en aide aux prostituées, Anne Ansermet-Pagot confirme également que la libre circulation a créé une nouvelle donne dans le monde de la prostitution lausannoise. «L'origine des femmes a changé, c'est vrai. Elles sont en moyenne plus jeunes qu'auparavant et il y a beaucoup plus de ressortissantes de l'Est» fait-elle remarquer en précisant également que la nouvelle offre en matière de sexe, avec la multiplication des salons et internet, a considérablement modifié la réalité de la rue. «L'offre est aujourd'hui plus grande que la demande, d'où des prix qui chutent» ajoute-t-elle, faisant ainsi écho à ce que Rosy affirme.Conséquences: des risques sanitaires plus importants avec des filles qui n'ont souvent aucune éducation en matière de prévention sexuelle et sont prêtes à tout, ainsi que des risques liés à de possibles contraintes. «Je ne peux affirmer que ces jeunes femmes appartiennent à des réseaux, tient toutefois à préciser Anne Ansermet-Pagot, mais quelques récits et des indices me font parfois craindre le pire.» Un exemple? «En hiver dernier, lorsque nous avons vécu une période de grand froid avec moins quinze durant plusieurs jours, certaines de ces femmes étaient dans la rue. Qu'on ne me dise pas qu'elles y allaient par pur plaisir!».

Une interpellation

Cette dégradation des conditions d'existence des prostituées lausannoises a dans tous les cas fait réagir le député socialiste JeanTschopp. Dans une récente interpellation, il s'émeut de cette situation et rappelle que le Conseil d'Etat, dans sa feuille de route 2012-2017, s'est engagé, entre autres mesures, à «lutter contre la traite d'humains». (*) Nom d'emprunt

La Suisse critiquée par le Conseil de l'Europe

PK • Les Etats ont tendance à criminaliser les victimes de la traite alors que les coupables sont rarement condamnés. C'est ce que dénonce un rapport du Conseil de l'Europe dans le cadre du premier cycle d'évaluation de la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.
Dans celui-ci, la Suisse n'échappe pas aux critiques internationales. Citée parmi les quinze principaux pays de destination de la traite sur le continent européen, elle a même été rétrogradée dans le deuxième tiers du classement effectué par le Département d'Etat américain sur la base des politiques anti-traite dans le monde. Principale critique adressée à notre pays: la prostitution des mineurs n'est pas interdite sur le plan national. Une situation qui devrait changer rapidement puisqu'en août dernier, le Conseil fédéral a mis en consultation un avant-projet de révision du Code pénal en la matière.Mais ce n'est pas tout: la Suisse se voit aussi reprocher une trop grande clémence à l'égard des auteurs de traite. Sur les 31 condamnations prononcées en 2009, seules cinq ont débouché sur des peines de prison ferme, les autres étant assorties d'un sursis.