L’indomptable Marc Décosterd, ce «loser magnifique» qui monte

CINÉMA • «Vasectomia», le dernier film du réalisateur et comédien vaudois a raflé 14 prix internationaux. Aussi lumineux que ses films sont sombres, Marc Décosterd porte un regard désabusé et affectueux sur cette époque qui comprend si mal «ceux qui sont à la marge».

  • Marc Décosterd, une affection sans borne pour l’humain, mais sans illusions.  GLENN MICHEL

    Marc Décosterd, une affection sans borne pour l’humain, mais sans illusions. GLENN MICHEL

Avec sa voix de stentor, sa carrure de boxeur et ses films noirs, très noirs, Marc Décosterd a tout pour apparaître comme un grand méchant loup. Mais la réalité est tout autre. Ce Nyonnais, natif de Zurich à la faveur d’un père employé au sol chez Swissair, est un grand gentil, certes sans illusions sur la nature humaine, mais grand amoureux de l’humanité. Son dernier film, «Vasectomia» – un titre provoc’ en hommage à une «société d’eunuques» - projeté dans des festivals aux quatre coins du monde, connaît plus qu’un succès d’estime. Primé, multiprimé, il représente la quintessence de ce que le cinéma suisse peut offrir, un mélange de talent, de débrouille aussi – le budget du film n’excède pas 40'000 francs grâce à une subvention de la Ville de Nyon et d’apports privés (comprenez les économies et les dons de copains)-, et de ces petits pas de côtés, qui en font une œuvre assez inclassable.

Désenchanté…

Qu’on en juge: «Vasectomia», «le plus désenchanté» des films de Marc Décosterd, dans lequel il incarne un des deux rôles principaux, raconte la longue descente aux enfers de deux amis, engagés dans une dérive religieuse nihiliste, violente et mortifère. Paradoxe: la dérive religieuse est chrétienne pour un film qui a pris sa source dans… les attentats islamistes du Bataclan à Paris, ville où Marc était présent au moment du drame, «un moment de terreur sans nom» qui donnera naissance à ce film, à la fois outil de catharsis personnelle, mais aussi réflexion sur notre époque désabusée et en manque de spiritualité. «J’ai choisi de parler de l’intégrisme chrétien car c’est ce que je connais le mieux, mais dès que l’on parle d’une religion, on parle de toutes les autres, explique le réalisateur-acteur nyonnais. Je n’ai rien contre la religion en tant que démarche spirituelle. En revanche, en tant que dynamique de groupe et de surcroît hiérarchisée, où chaque humain peut devenir odieux, j’ai beaucoup de mal».

Pulsion créatrice

Le cinéma, Marc le découvre très jeune à la faveur d’une caméra 8 mm, propriété paternelle qu’il s’approprie très vite pour tourner des films de… legos, puis enregistrer des pièces radiophoniques, diffusées à l’école, durant ses cours de dessin. Dès son arrivée au Gymnase de Nyon, il décide de devenir comédien, puis s’inscrit à la célèbre ECAL de Lausanne, où il découvre – enfin! - le droit et le bonheur «de pouvoir être créatif». Seulement voilà: créatif est rarement synonyme de lucratif, et après une longue période de petits boulots à Lausanne dans le monde du cinéma, le voilà embauché comme journaliste au sein de la naissante Télé Nyon, où il passera neuf ans.

Depuis quelques années, il vit essentiellement de mandats en tant qu’indépendant, tout en s’adonnant en parallèle à sa pulsion créatrice. Avec souvent des films «d’une noirceur tendre et affectueuse» donc, des personnages toujours un peu border line, aussi attachants qu’(auto) destructeurs, des losers sympathiques et débordés. «J’ai une affection pour les losers, peut-être parce que j’en suis un, lance-t-il en éclatant de rire. Je crois beaucoup au concept de loser magnifique».

«Liberté formidable»

Alors loser Marc Décosterd? Pas vraiment. Sa précarité, celle de l’immense majorité des artistes en Suisse, longtemps subie par celui qui avoue «une certaine fatigue à 40 balais», est au fond, choisie. Car elle le préserve du mainstream, des contraintes d’une société qui le désespère autant qu’elle l’enthousiasme, tout en lui garantissant une liberté créatrice inégalable. «J’ai bien conscience d’être dans la marge, observe-t-il. Mais j’ai une liberté formidable qui me permet de parler des sujets qui me plaisent comme je l’entends», explique celui qui, pour «Vasectomia» n’a même pas tenté d’obtenir, échaudé par ses précédentes expériences, le soutien financier de l’Office fédéral de la culture.

Pourtant, «Vasectomia», ce «petit film que personne n’attendait» participe au rayonnement de la Suisse au niveau international, avec ses… 14 prix à l’international, prix du meilleur comédien à Stockholm, prix du meilleur film à Sacramento, de la meilleure musique à Singapour, de la meilleure chanson originale à Los Angeles. Alors Marc, qui décidément sait tout faire, et qui aime tout faire, y compris la musique de son film, gère lui-même directement la promotion de «Vasectomia», de l’inscription au catalogue de BlueTV, à la future sortie en DVD.

Piraté...

Divine (?) surprise, le destin et le monde impitoyable d’internet viennent de lui donner un petit coup de pouce inattendu. Depuis quelques semaines, «Vasectomia» est disponible en téléchargement illégal sur internet et en haute définition s’il vous plaît. «Au départ c’était une angoisse, un vertige car j’avais l’impression que mon film, désormais disponible n’importe où, m’échappait sourit-il. Et puis ensuite, le sentiment d’une certaine consécration, de reconnaissance, puisqu’on l’a jugé suffisamment bon pour le pirater!