Marion Moutte et Damien Vincens, les nouveaux rois lausannois des cocktails

À la barre du Don’t Tell Aunty à Lausanne, Marion Moutte et Damien Vincens font vibrer les papilles grâce à leur savoir-faire en mixologie. Cocktails et amuse-bouches, mais aussi écoute, créativité et une volonté de fer. Portraits croisés.

  • PHOTOS NOURA GAUPER

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«Trouver rapidement du travail à Lausanne n’est pas facile, j’ai été acharné»

Damien Vincens

«Tout le monde peut être barman, mais pas tout le monde peut être mixologue»

Marion Moutte

«Alors à la base, vous venez de Nice!» «Oui, d’Antibes et de Saint-Laurent.» Damien Vincens a commencé son parcours derrière les bars: «Je n’étais pas du tout du métier quand je suis parti de Nice pour l’Australie, où j’ai suivi une école de barista avant de faire le tour du continent et d’apprendre le métier de bartender sur le tas», au fil des senteurs et du goût, celui de l’aventure, celui du monde, celui qui éveille.

«Ah, nous, quand on voit une porte entre-ouverte, on y met un bon coup de pied pour voir ce qu’il y a derrière», continue Marion Moutte, l’excellente mixologue du Don’t tell Aunty, à la galerie Saint-François, qui a trouvé son point d’appui. Le voyage, la bohème, la musique, la vie «sur la route» dans le monde entier et puis un jour, Lausanne. Lui électrotechnicien au sein de l’armée de l’air, elle ancienne lutteuse en sport-études et passée par une formation de spécialiste en communication. Les voir derrière leur bar aujourd’hui n’était pas garanti il y a dix ou quinze ans, quand ils se sont lancés dans leurs aventures respectives. «J’ai fait une formation de barista sur une semaine, j’ai appris le latte art, la reconnaissance du café, comment utiliser les machines. Puis, j’ai travaillé les soirs comme barman et j’ai aimé. Je me suis lancé, d’établissement en établissement», raconte Damien, qui a commencé à Perth pour finir à Sydney avant de partir en Nouvelle Calédonie travailler huit mois pour revenir en France une saison et arriver pour la première fois en Suisse il y a deux ans et demi, rien de moins qu’au LP’S bar. «Ça a été ma chance, car trouver rapidement du travail à Lausanne n’est pas facile, j’ai été acharné. Depuis que je suis à Don’t tell Aunty, je me sens encore plus libre de créer, je peux m’exprimer, laisser parader l’imagination, car on n’est pas enfermés dans le monde du bar ou de la technique, on peut proposer à la carte notre côté foufou, oser faire et expérimenter ce qu’on veut partager.»

Expérience et créativité

Marion Moutte, quant à elle, opérait au service et c’est en allant travailler à Londres pour le propriétaire de l’hôtel qui l’avait repérée à Courchevel qu’elle a fait ses premiers pas: «Tout le monde peut être barman mais pas tout le monde peut être mixologue. On a beaucoup travaillé pour pouvoir créer notre carte avec par exemple le gin à la fourmi ou la vodka à la truite façon Gravelax. On veut faire expérimenter aux autres des choses qui sortent des sentiers battus, on laisse parler nos mains, nos sens, car ce n’est pas l’affaire de tout le monde de créer.»

Découvertes bohèmes

Son parcours est varié, une vie bien remplie d’expériences aussi bien portées par l’amour que par la soif de découverte. Du sport-études à Lille à la vie en Slovaquie, en Australie, en Asie du Sud-Est, la musique comme DJ, la cueillette de pommes en France, la bohème, la rencontre avec Damien en 2012 à Nice, le travail, la restauration à Courchevel et le départ à Londres où elle a été repérée pour rejoindre une équipe, puis diriger la salle d’un bar. «Là, on a voulu faire monter les standards. J’ai vu mon colocataire, ami, et bar manager, Harry Nikola, faire infuser des feuilles de cigares dans du rhum, ajouter du sirop de coriandre et avocat pour faire des cocktails au guacamole, et j’ai voulu savoir en faire autant», raconte Marion, désormais membre de la grande famille de la restauration où tout le monde se connaît. Le jour du tournant décisif? «Quand Laurent Winderickx, flair bartender au W de Verbier, a réalisé son rêve d’organiser une école de bar à Goa, en Inde, où j’avais passé du temps, je me suis précipitée pour la suivre durant un mois et demi. Là, j’ai appris la mixologie. Un intervenant, Romain Tritsch, est venu pendant deux semaines et m’a passionnée.» Marion a encore bourlingué pour des raisons personnelles et familiales dans le monde avant d’arriver en Suisse, où elle et Damien ont fini par se retrouver. «Je suis arrivée en 2017 au Royal Savoy pour recommencer ma vie. J’ai fait les premiers concours, Romain Tritsch m’a enseigné la mixologie, il m’a appris à faire une association de saveurs, les sirops, les fermentations, à produire mes propres produits jusqu’à ce que je puisse gérer toute seule.»

Totale liberté

Puis, entre le Lausanne Cocktail Club (LCC) avec Bertrand Tessier et la culture du cocktail classique et Monsieur 14, à Mon Repos, Marion a gagné divers concours et a perfectionné son art qu’elle fait évoluer aujourd’hui avec Damien.

Ils se retrouvent ensemble à créer dans une totale liberté: «On est contents parce qu’on a une carte avant-gardiste, qui sort du commun, on a vraiment bien travaillé les produits et on fait tout maison», explique Marion, quand Damien rebondit: «Ce qui nous tient à cœur c’est une éducation collective aux accords mets-cocktails, de pouvoir créer des liens et le partager en faisant évoluer la scène de bar lausannoise.»