Samira Banny, la mémoire artisanale chevillée au cœur

MODE • C’est au cœur de l’ancienne Serrurerie Marti, à la rue de la Tour, devenue en 2007 l’un des tout premiers espaces de coworking lausannois, que Samira Banny nous reçoit, là où elle conçoit, expose et vend ses sacs et accessoires, dans lesquels se nichent autant de belles valeurs que de belles histoires.

  • Samira Banny dans son atelier implanté au cœur de Lausanne. HOFER

    Samira Banny dans son atelier implanté au cœur de Lausanne. HOFER

«Le cuir est un matériau très écologique»

«Si on lâche prise, on arrive à des designs intemporels»

Dans la vieille usine, toujours plongée dans son jus industriel joliment revalorisé, tout sent bon le plaisir de faire, de construire, d’imaginer, de créer: des architectes, des créatrices de bijoux, de kokedamas, une compagnie de théâtre, un programmateur de spectacles, et la marque de Samira se côtoient dans une douce ébullition. En vitrine, la collection Exeko s’expose dans un défilé de noms emblématiques. Ici, sacs, besaces, étuis à cartes ou à lunettes, s’appellent George (Sand), Ella (Maillart), Louise (Bourgeois), Frida (Khalo), Nikki (de St Phalle), Audrey (Hepburn). Un choix délibéré empreint de force et de féminisme, qui représente bien le tandem aux commandes d’Exeko, Samira Banny et Delphine Burtin.

Née à Casablanca, Samira est arrivée à Lausanne il y a plus de 25 ans pour rejoindre ses frères et sœurs déjà installés ici. Après une double formation en gestion et design, entrepreneuse dans l’âme, elle crée une société de développement de produits et de création de packaging dès 2001, avant de lancer Exeko en 2008.

Double culture

Devenue Suissesse, elle profite de la richesse incroyable que lui offre sa double culture, et partage un heureux dialogue entre ses inspirations orientales et les codes helvètes. «Je suis les deux à la fois», nous dit-elle, en citant l’écrivain frando-libanais Amin Maalouf. C’est un projet de la Fondation Sandoz, autour d’un livre d’art posé dans un écrin de cuir, qui amènera Samira sur la route de la maroquinerie marocaine, et de ses hauts lieux comme Fès ou Marrakech. Là-bas, le travail des peaux est séculaire et profondément artisanal. Sous pavillon Exeko, elle dessine une route du cuir parsemée de personnages, tanneurs, artisans, éleveurs, qui sont autant de savoir-faire précieux et de belles rencontres. C’est avec eux qu’Exeko revient aux sources des techniques, privilégiant le tannage végétal traditionnel aux techniques chimiques. Parfois, la créatrice utilise aussi des surplus de stocks destinés à d’autres productions, ou des chutes de cuir inutilisées afin de pouvoir les valoriser et éviter qu’elles soient jetées. Cette démarche vertueuse est une invitation à réfléchir sur la manière dont sont fabriqués les produits que nous consommons: des matières premières à la distribution, en passant par la conception et le transport, chaque étape à sa part de sens et d’importance.

Si Samira a lancé seule la marque Exeko en 2008, dont le nom résonne comme un appel à un modèle plus égalitaire dans l’industrie, qui respecterait tout autant les intérêts des fournisseurs que ceux des consommateurs, c’est en 2015 que les premiers sacs voient le jour, avec la complicité de Delphine Burtin, compagnonne de route de longue date. Aujourd’hui, tous les sacs sont dessinés et conçus à Lausanne, puis produits à Casablanca, avec des matériaux fournis sur place.

La créatrice ajoute: «Contrairement aux idées reçues, le cuir est un matériau éminemment écologique et respectueux de l’environnement puisque c’est le résultat d’une transformation par le tannage d’un déchet issu de l’industrie agro-alimentaire.» Les cuirs choisis par Samira viennent du Maroc, et sont issus de petits troupeaux de vaches à viande, dans un pays où l’agriculture intensive n’existe pas. Sans l’industrie du cuir, la peau ne serait donc qu’un déchet de plus à traiter et à éliminer, alors que là elle se retrouve valorisée. Il est aussi un matériau à la durabilité évidente. Samira a le souvenir du sac en cuir transmis par sa grande sœur, après être passé par toute la fratrie, ou encore d’une petite pochette héritée de son arrière-grand-père.

Ces objets qui se transmettent, qui se réparent, qui durent longtemps et prennent leur patine au fil des ans, qui accumulent la valeur affective au poids de leurs souvenirs, incarnent une certaine idée poétique et artisanale de la durabilité, qui se retrouve dans son travail. La mode est par essence une science de l’éphémère et remet régulièrement à plat les codes et les tendances. Là aussi, Samira Banny travaille en pleine conscience: «Si on lâche prise par rapport aux notions de saisons et de collections, on arrive à des designs intemporels.» Inspirée par la tendance du slow design, elle explore les volumes et leur déconstruction pour ne garder que l’essence de lignes qui incarnent une beauté unique, pratique, et qui ne perd pas son attrait au fil des ans. De toute façon, franchir la porte de la Serrurerie et se plonger dans son atmosphère brute et vintage, c’est déjà perdre un peu la notion du temps ...