La Pinte Besson, ou l’histoire des hommes et la préservation des terroirs

Chaque semaine, Lausanne Cités vous propose son coup de coeur pour un lieu emblématique de Lausanne. Aujourd'hui, la Pinte Besson, un refuge où il fait bon vivre, boire et manger.

  • THOMAS LéCUYER

    THOMAS LéCUYER

Si elle donne soif à beaucoup, la Pinte Besson de la rue de l’Ale m’a, pour l’essentiel, plutôt donné faim. Je chéris tout particulièrement ses viandes sur ardoise, bleues comme un ciel de printemps, rouges comme un soleil couchant, dont les bonnes graisses s’évanouissent sur la pierre chaude en mille soupirs odorants. C’est tout un terroir qui chante ici pour honorer la vigne, en planchettes, ardoises, et fondues, car oui, soyons francs: à la Pinte Besson, on y boit, évidemment. Ce matin, je suis tout seul sous la voûte tricentenaire. Une serveuse s’affaire à dresser les tables pour midi. Un client, un seul, bien mis, petite veste et attaché case, finit d’un trait son ballon de blanc au comptoir, puis s’en va après m’avoir salué poliment. La serveuse me précise, comme pour me rassurer: «J’ai eu du monde ce matin mais là ça va être calme jusqu’à l’apéritif. » Et c’est vrai que si on n’y pense pas vraiment pour le café du matin, La Pinte Besson s’éveille dès l’heure de l’apéritif. Vers onze heures, le ballet des ballons commence, en déclinaison de trois couleurs, un ballet qui dure depuis bientôt 240 ans, faisant du lieu le plus ancien bistrot de la ville! Ici, la notion de terroir prend tout son sens: boire et manger sont deux pivots fondamentaux de nos cultures. A travers les vins, les viandes, les fromages, les savoir-faire et les traditions culinaires, se lit en transparence l’histoire des hommes, et la préservation de ces terroirs face aux modes passagères et à la bonne conscientisation ambiante de nos assiettes est une lutte nécessaire. Coincée entre les fast-food dégueulasses qui ne cessent d’envahir la ville et les promesses véganes de viande de synthèse, de fromage sans lait, et de poulet sans poulet, La Pinte Besson fait partie de ces refuges où il fait bon vivre, boire et manger. Onze heures sonnent, le téléphone aussi. On réserve pour la fondue du soir. Quatre Anglais peu frileux, autant dire un pléonasme, s’installent en terrasse et commandent des pintes de blonde. «Boire des pintes à la Pinte, it’s funny» s’amusent-t-ils, avant de me préciser «c’est ce qui ressemble le plus à nos pubs ici. Beaucoup plus que vos faux pubs!» Des messieurs s’installent au bar. On peste contre les banques et les assurances, on commente la presse du jour. Les ballons de blanc s’envolent, les langues et les esprits se délient, et le monde sera une fois de plus défait puis refait sous ses voûtes qui l’ont tant vu défilé.