Joseph Carlucci, l’ami de David Bowie

MUSIQUE • Mémoire vivante du rock mondial, Joseph Carlucci est un amoureux de Lausanne. Rencontre avec un photographe de concerts qui a su se jouer des modes. Avec malice… et talent.

  • Joseph Carlucci a su conserver son âme rock au fil des années. VINCENT HOFER

    Joseph Carlucci a su conserver son âme rock au fil des années. VINCENT HOFER

«Where’s MY fucking picture then?» David Bowie

Ce matin-là de l’année 1986, Joseph Carlucci est heureux de pouvoir enfin ouvrir son magasin à la Ruelle du Grand Pont. Une forme d’aboutissement pour ce photographe passionné de rock, qui travaillait chez Lusso avant de tout quitter pour ouvrir une échoppe dédiée à ses idoles, avec objets collectors, t-shirts, posters, photos, merchandising officiel… Hélas, le premier client à pénétrer dans sa boutique n’achètera rien et lui fera même une réclamation. «Where’s MY fucking picture then?», s’exclame un David Bowie débarqué là par hasard et étonné de voir toutes les stars du rock épinglées dans le magasin, sauf la sienne.
Rock qui crache
Il faut dire qu’à l’époque, l’icône glam-rock vit des jours heureux à Lausanne, où il s’est même marié place de la Palud. Bizarrement, Joseph n’a encore jamais photographié le Thin White Duke (il le fera seulement en … 2007!). Peut-être que son répertoire était trop calme pour lui? Il faut dire qu’il aime bien le rock qui crache, Joseph, celui qui tâche, hurle, amplis guitares poussés à fond comme les cheveux des musiciens.
Arrivant à Lausanne à la fin des années 60, dans une ville pas franchement rock’n roll, le jeune Carlucci débarque de Nociglia, un petit village italien où la seule animation musicale étaient les fanfares qui jouaient durant les célébrations religieuses. Sans attendre les années 80 et le mouvement Lôsanne Bouge pour agiter un peu la ville, Joseph plonge vite dans le grand bain du rock’n roll, et son premier concert lausannois remonte au 15 juillet 1975, avec la légende Little Richard.
Où sont les fans?
L’amateur de musique électrique commence par vivre de sa passion en simple spectateur avant de penser à prendre quelques photos pour raconter les concerts à ses copains, parce qu’à cette époque là, c’était plus branché d’aimer la musique disco d’ABBA et des Bee Gees que le rock’n roll. Alors, c’est souvent tout seul que Joseph parcourt la Suisse pour écouter ses «guitar hero» préférés, et il aime bien en mettre plein la vue à ses camarades avec ses clichés plein d’intensité.
Si ses groupes favoris tendent vers le rock costaud (Uriah Heep, Deep Purple, The Who, Led Zep), Joseph s’est spécialisé par la suite dans le hard rock et a épuisé des milliers de pellicules en immortalisant les plus grands du genre (Black Sabbath, Iron Maiden, Metallica, Motorhead, Kiss), faisant parfois quelques incursions du côté du blues (Les Stones, BB King, Eric Clapon, Joe Cocker...), sans jamais oublier de poser chaque année son camp de base dans les plus grands festivals comme Montreux Jazz ou Paléo.
Y’a pas photo
D’une passion dévorante, la photographie de concerts est devenue un métier passionnant. Après plus de 5000 concerts, le plus mémorable restera sans aucun doute pour lui celui de Pink Floyd en 1977 à Zurich: une scénographie incroyable, un son unique en quadriphonie, l’expérience musicale et visuelle la plus intense que le photographe n’a jamais vécue, si intense que ce soir là, il ne prendra pas un seul cliché.
Pour Joseph, la parenthèse pandémique qui l’a privé de concerts durant de si longs mois a été insupportable, et deux années sans Paléo, c’est déjà beaucoup trop. Alors dès que les concerts ont repris, il a ressorti ses boîtiers et ses objectifs, toujours avec le même plaisir et la même curiosité, pour parcourir les salles et les festivals aujourd’hui encore.
Un book bien taillé
David Bowie restera un visiteur fidèle de la boutique de la Ruelle du Grand-Pont, jusqu’à sa fermeture, profitant toujours de l’occasion pour acheter des vinyles chez le disquaire voisin, Sapri Shop. Au fil des ans, il invitera le photographe à plusieurs concerts à Montreux, Lyon ou Genève.
Trente-cinq ans après sa première apparition dans son magasin, Joseph Carlucci sort un magnifique recueil de photographies dont le titre est un clin d’œil à cette amitié hors du commun.
Le photographe est passé pour un temps de l’autre côté du miroir: c’est maintenant lui qui fait des séances promo, se fait prendre en photo et signe des autographes.
Un succès mérité pour ce livre de souvenirs plein d’énergie, d’exubérance, de sueur, de riffs et de moments rares, qui retrace la grande histoire du rock et de la musique live en Suisse. Le très bel objet, en tirage limité et au format d’un album 33 Tours, est disponible chez Payot. Magnifiquement mis en page par le graphiste Julien Collet, c’est une belle idée de cadeau de Noël pour toutes les personnes passionnées de musique ou en manque de concerts!