Les ombres lumineuses des tableaux de Lara

PEINTURE • Enjouée et calme, artiste plasticienne et sportive, studieuse et spontanée, l’artiste lausannoise Lara Marino aime se nourrir d’oxymores. Pour le plus grand plaisir de ceux qui s’intéressent à ses inspirées peintures à l’huile.

A23 ans, elle a déjà obtenu le prix Ernest Manganel, que Pierre Keller avait remis au goût du jour en 1997 pour honorer la mémoire de son initiateur et pour encourager les jeunes talents. Lara Marino le décroche en 2021 et trois de ses toiles grand format sont exposées aussi bien à l’ECAL de Renens qu’à l’espace Arlaud à Lausanne. «Les peintures que j’ai exposées sont une rétrospective, une visualisation plus profonde de mon mémoire à travers la métaphore d’une forêt cérébrale», explique la jeune artiste, dont le travail est régi par l’instinct. Son rapport au corps et à sa place dans le monde est également intégré comme une forme de paysage corporel: «Il s’agit d’un écosystème rempli d’informations où le travail révèle sa création à travers la fascination de l’évolution corporelle et le déclin.»

L’art comme refuge

Son univers est constellé d’environnements picturaux figuratifs et chimériques qui explorent la relation entre l’imaginaire, le vénérable et les liens maternels. «La peinture est mon activité artistique principale, mais je fais également du vidéoart, du body art et de la photo que j’utilise pour reprendre mes créations.» La jeune femme, qui raconte avoir toujours eu des problèmes de concentration, se souvient avoir dessiné depuis son plus jeune âge. Comme une manière de capter l’attention quelque part ailleurs. « La première fois, c’était au collège, à sept ans, pendant les épreuves cantonales de référence. Je n’avais excellé que dans celle de dessin. La prof m’avait convoquée avec mes parents pour exprimer sa surprise quant au fait que j’étais la seule à avoir réussi l’examen qui consistait à dessiner une petite fille qui mangeait de la confiture en s’en mettant partout. J’avais passé tout le temps à disposition à dessiner… en oubliant le reste!»

Le génie de Lara opère aussi dans son foyer, ses deux chambres sont ses abris, ses ateliers, ses univers. Elle les a peintes, pour y vivre, c’était nécessaire: « J’ai toujours eu besoin de produire et de m’entourer. Mon père a chez lui un énorme tiroir de mes dessins. L’une de mes chambres est rose, l’autre bleue. Quand je travaille, j’ai souvent besoin d’être seule.» Et ça porte ses fruits, car Lara n’a plus assez de place et vient d’aménager son nouvel atelier dans les hauts de Lausanne.

Nouveau départ

Elle ajoute, toujours à propos de son expérience scolaire: «A l’école, c’était assez difficile, car on m’a poussée à ne pas trop me concentrer sur la peinture, surtout celle à l’huile, alors que j’ai toujours eu l’envie d’en faire. Mes professeurs ne comprenaient pas mon intérêt pour cette technique ancienne.»

Les difficultés, mais aussi les personnes qui ont cru en elle sont multiples: «A l’école, je suis tombée sur un prof de dessin qui a porté beaucoup d’intérêt à mon travail et qui m’a poussée à continuer». La jeune artiste a aussi pu choisir sa direction grâce à son professeur de français et d’arts visuels au Gymnase Auguste Piccard. Elle s’est inscrite à l’ECAL, un univers nouveau, rude mais qui allait marquer un tournant.

Réalité naissante

Lara se distingue, ne suit pas le courant et se dissocie des autres étudiants par son amour pour la peinture classique. Elle a défendu une toile d’un mètre sur deux en réponse rebelle à une critique reçue lors de son parcours. «Je l’ai présentée par surprise aux évaluations, sourit-elle. Je souhaite acquérir de la légitimité et bien connaître mon travail aussi bien du point de vue de l’histoire de l’art que des techniques de peinture afin d’être en mesure de critiquer correctement, de ne pas me sentir naïve ou inculte dans un domaine. La peinture m’intéresse beaucoup, car aujourd’hui tout se passe très vite. Il y a une quantité infinie d’images à la seconde tandis que la peinture est un travail qui requiert de la patience et c’est très frustrant, car quand tu as une idée… tu as envie de la réaliser vite.»

Vœux d’avenir

Malgré les critiques, arrivent la sélection pour Artgenève, le mandat en décembre 2021 pour la princesse italienne Orsini, un portrait géant, un travail à venir pour une célèbre marque horlogère suisse, une collaboration avec un palace lausannois. «Je représente beaucoup ma famille, car c’est une façon de m’entourer. Je suis souvent seule quand je travaille. Je ne veux pas oublier pourquoi je suis là et comment j’ai été soutenue. Il y a un processus et une technique que tu es obligée d’apprendre si tu veux travailler dans le réalisme. Tu ne peux pas aller contre ça, c’est un métier qui n’est pas vraiment structuré et je définis mon style… sans définition!» Lara se voit encore comme une enfant, à l’intérieur. Peindre sa famille et ses proches la rassure, ralentit ce moment de la vie qui délie les liens. Comme un rempart à la mort? «J’aime travailler avec les enfants, les personnes plus vulnérables, car les méandres de l’esprit me fascinent. Je me suis privée de sommeil pour explorer de nouveaux états de conscience, j’ai joué avec l’alimentation, fait des tests sur moi pour observer ce qui se passe dans mon processus de création.» Mais Lara est bien entourée, son père son héros, sa mère son roc, son frère son autre et sa meilleure amie... Les fondations sont solides, Lara a encore beaucoup à révéler.