Suisse-Europe: le clash?

- L’initiative de l’UDC est censée résoudre quelques-uns des problèmes majeurs que connaît la Suisse.
- «Faux!» disent ses détracteurs, elle remettrait gravement en cause sa prospérité.
- Ancien diplomate de haut rang, l’ancien ambassadeur suisse François Nordmann livre son analyse.

  • Expert en relations internationales, l’ancien ambassadeur François Nordmann estime qu’une acceptation de l’initiative UDC serait préjudiciable à la Suisse. DR

    Expert en relations internationales, l’ancien ambassadeur François Nordmann estime qu’une acceptation de l’initiative UDC serait préjudiciable à la Suisse. DR

Lausanne Cités: Pour l’UDC, cette initiative résoudrait bien des problèmes que connait la Suisse aujourd’hui.  Pour le Conseil fédéral et le Parlement, il remettrait au contraire en question la prospérité même de notre pays. Quel est votre sentiment à ce sujet?

François Nordmann: La libre circulation des personnes a permis à l’économie suisse d’utiliser pleinement son potentiel depuis 2002, ce qui n’était pas le cas durant la décennie précédente. Elle  est donc un facteur de croissance.    L’initiative veut au contraire plafonner la main d’œuvre étrangère, ce qui  ne résoudrait nullement  les problèmes d’aménagement du territoire, de marché du travail, de transport et de logement qu’elle veut combattre  et qui sont en partie mal maîtrisés. Il convient de s’y attaquer avec vigueur, mais l’immigration n’est pas seule en cause – les habitudes de vie de notre société ont changé, nécessitant plus de surface habitable, plus de mobilité alors que nos institutions ont de la peine à suivre et encore plus à anticiper les besoins   de la population. Jeter le bébé avec l’eau du bain n’est pas la réponse appropriée

Certains experts prétendent dans tous les cas que son acceptation mettrait en danger nos relations avec l’Europe. Pourquoi?

La libre circulation des personnes est un des piliers de l’Union européenne. Dans les années soixante, la question du statut des travailleurs étrangers en Suisse a été l’un des principaux sujets de friction avec la Communauté européenne. Les accords sectoriels de 1999, dont la libre circulation des travailleurs est le socle, ont permis de régler ce problème. Tout retour en arrière rallumerait donc une ancienne querelle et mettrait en cause l’ensemble de notre coopération avec l’Europe, non seulement sur le plan juridique mais aussi politique. Notre prospérité en souffrirait inévitablement.

La Suisse accueille quelque 80'000 nouveaux étrangers chaque année. Comprenez-vous tout de même que pour cetrtains cela pose tout une série de problèmes?

Le dumping salarial, le «tourisme social» ou l’arrivée en nombre de travailleurs de l’Est ou du Sud de l’Europe alimentent dans certains pays des réflexions analogues à celles entretenues autour de l’initiative de l’UDC. Mais des instruments existent au sein de l’UE pour remédier à ces abus: elle ne saurait pour autant amender ou abandonner le principe de la libre circulation. En acceptant l’initiative, la Suisse rouvrirait un chapitre délicat de ses relations avec l’UE et aurait à assumer les conséquences non seulement juridiques mais aussi politiques d’un pareil changement de cap.

Plusieurs avis de droit estiment qu'un oui pourrait déboucher sur une dénonciation de l'Accord sur la libre circulation de personnes. Partagez-vous cet avis?

Les deux systèmes en présence – accord sur la libre circulation des personnes et contingentement –sont incompatibles. Si le peuple et les cantons décidaient d’en revenir au plafonnement, le Conseil fédéral ne pourra que dénoncer l’accord de 1999. Cela entraînerait automatiquement la fin des autres accords conclus au titre des Bilatérales I, liés les uns aux autres, en vertu de la clause «guillotine» introduite précisément pour cette raison.

Peut-on dire que, politiquement, nos partenaires européens prendraient très mal la chose?

L’intérêt primordial de l’UE à ne pas laisser s’affaiblir un dispositif placé au cœur de la construction européenne, la volonté des institutions européennes, en pleine période électorale, de résister à la vague populiste qui les menace, enfin les négociations en cours entre la Suisse et l’UE ne devraient pas pousser l’UE à l’indulgence envers un partenaire qui représente moins de 8 % du commerce extérieur de l’Union. Il faudra plutôt s’attendre à un durcissement des positions de l’UE à l’égard de la Suisse.

A vos yeux, la Suisse doit donc rester ouverte si elle entend demeurer sur la voie du succès...

Un pays qui vit de son habileté à tirer parti de la mondialisation, qui gagne un franc sur trois en Europe, qui exporte 56% de sa production vers l’UE et qui importe 75% de ses marchandises et services de l’UE, un pays à ce point imbriqué dans l’Union européenne ne peut se fermer aux échanges avec cette dernière, sous peine de mettre en péril son bien-être, son réalisme et sa crédibilité dans le monde.