Avis de tempête sur le Grand-Saint-Bernard

MOBILITÉ • Le tunnel du Grand-Saint-Bernard, dont la Ville de Lausanne et le Canton de Vaud sont actionnaires, est au cœur d’une crise italo-suisse. En cause, une dette de 26 millions d’euros et le renouvellement incertain de la concession pour sa gestion.

  • La contribution italienne pour les travaux de rénovation du tunnel se fait attendre.

Le 6 octobre dernier, le président de la Confédération, Alain Berset, s’entretenait avec son homologue italienne, Giorgia Meloni en marge d’un forum européen. Cette rencontre comprenait un singulier point à l’ordre du jour: en effet, l’Italie «doit» à la Suisse 26 millions d’euros. La chose aurait pu passer inaperçue si nos confrères de CH Media et Swissinfo ne s’en étaient pas fait l’écho tout récemment. Mais à quoi correspond cette somme? Rembobinons. Le 21 septembre 2017, côté italien du Grand-Saint-Bernard, une poutrelle du faux plafond du tunnel s’effondrait juste devant une voiture.
Ce type d’accident, n’était ni prévu, ni anticipé, et encore moins ses conséquences: une longue fermeture du tunnel à l’automne 2017, des pertes économiques conséquentes, et une mise en sécurité urgente chiffrée à 52 millions d’euros, répartis pour moitié entre la Suisse et l’Italie. Dans les faits, c’est bel et bien la Suisse qui a payé la totalité de la somme. Mais six ans et cinq gouvernements plus tard, l’Italie n’a toujours pas réglé sa part de l’addition, malgré des promesses à répétition.
Le Canton et la Ville impliqués
Le cœur du problème se trouve dans le renouvellement de la concession pour la gestion du tunnel, qui arrive à échéance en 2034. Ladite gestion est assurée par la Société Tunnel du Grand-Saint-Bernard (TGSB SA), dont les actionnaires majoritaires sont le Canton de Vaud, le Canton du Valais et la Ville de Lausanne, et par la Società Italiana per il Traforo del San Bernardo (Sitrasb Spa), détenue à 63,5% par la Région autonome Vallée d’Aoste. La TGSB et la Sitrasb sont propriétaires à part égales de la Société italo-suisse d’exploitation (SISEX SA), chargée des aspects opérationnels, notamment la maintenance.
Précisément, l’effondrement de la poutrelle a montré une fatigue structurelle qui imposait d’importants travaux d’assainissement. Un nouveau chantier d’envergure, soit le remplacement du «faux plafond» sur les six kilomètres du tunnel, a démarré en octobre dernier et s’étalera jusqu’au printemps 2027, sans interruption de trafic. Coût de l’opération, 52 millions de francs… que seul un renouvellement à long terme de la concession permettrait d’amortir.
Dossier pris au sérieux
Interviewé par Swissinfo le 13 novembre dernier, Olivier Français, président de la TGSB, tirait la sonnette d’alarme. Faute de renouvellement de la concession, «les conditions de sécurité ne seront plus réunies et nous serons contraints de fermer le tunnel». La Suisse a donné un préavis positif pour un renouvellement jusqu’en 2070, mais la situation est plus compliquée du côté italien. De Rome, le dossier est passé au Parlement européen à Bruxelles, et personne ne semble savoir où il se trouve. Sollicitée, la Ville de Lausanne se borne à une déclaration que nous a transmise Pierre-Antoine Hildbrand, municipal en charge de la sécurité et de l’économie: «Le Tunnel du Grand Saint-Bernard (TGSB) est d’abord important pour Lausanne et la Suisse romande comme lien Nord-Sud avec l’Italie. Les aspects financiers sont secondaires. Pour le reste, Olivier Français a été désigné notamment pour la Ville de Lausanne et est habilité à répondre». Concernant les 26 millions en souffrance, Olivier Français, nous indique justement que «le dossier est pris avec attention par l’administration Italienne et les ministères en charge de ce dossier. De plus le Conseil fédéral est en appui et très attentif au dossier».
Enfin, la Vallée d’Aoste, échaudée par la fermeture du tunnel en 2017, s’agace des déclarations «vagues et incohérentes» de Rome et joue de tous les leviers possibles, jusqu’à Bruxelles, pour apaiser les tensions. Tout un programme, qui ne concerne pas que la Vallée, lorsque l’on connaît le labyrinthe technocratique qui caractérise l’Italie et l’Union européenne.